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26 octobre 2011 3 26 /10 /octobre /2011 05:58

 

 

De lourds rouleaux d’un gris d’étain roulent en troupes pressées sur la vallée poussiéreuse au teint éteint des noires cendrées crachées par les usines tonitruant rageusement du travail des forges dans la nuit.

Et les tours de refroidissement noirâtres lancent sans fin de leurs veilleuses rouges des SOS que personne ne comprend dans le ciel amoindri. Assis seul dans la poussière d’un terril, je pleure sur mes rêves de savanes et de fauves au pelage ruisselant de sueur dans les ors du crépuscule du pays des matins du monde.

C’est une torture de l’admettre, mais je n’ai pas été suffisamment vigilant. Ils m’ont pris. Alors même que je m’apprêtais à poursuivre ma geste héroïque sous des cieux d’azur ayant vu la naissance même de cette humanité si désinvolte, ils sont venus. Et je n’ai toujours pas compris pourquoi. Ni comment ils ont su.

Mon procès fut rondement mené. Je fus très déçu. S’il y a une seule chose que j’aime sur ces écrans vomissant sans cesse médiocrité intellectuelle et promiscuité des sexes et des laides âmes, ce sont les feuilletons judiciaires américains. Je jouis de la roublardise, de la verve et de l’aplomb de ces avocats américains qui s’asseyent avec une outrecuidance magnifique sur la morale emperlousée propre aux banlieusards étroits d’esprits que j’abhorre.

Autant vous dire que la justice belge est loin, très loin, de cette magnificence. Imaginez des palais de justice ringards, sombres et poussiéreux, encombrés de boiseries et de velours d’un autre âge. Sales, passéistes, crotteux en vérité. Et des hommes de loi trainant de lourds accents rustauds, des strabismes divergents, des zézaiements convergents. Une bien piètre vision de la petitesse d’un pays qui regarde les pétales de pâquerettes par le dessous.

Un pâle personnage portant nom saugrenu à la fragrance délicatement métallique du couperet dégoulinant de sang bleu et chaud dans le petit matin, Monsieur Charles-Henri de La Pichardière, a instruit mon cas. Car en Belgique, il revient à l’instituteur du roi de rassembler les preuves contre et en votre faveur. Le roi doit être bien inculte avec des instituteurs de cet acabit. C’est qu’en terme d’instruction, il fit les choses au pas de charge et en fouillant les décharges, le nobliau du barreau. Mais il parait que c’est ainsi en droit belge. Comment parler de droit dans un pays où tout va de travers je vous le demande.

Bref. Je ne sais trop comment notre fin de race procédurière a mené son affaire mais les faits sont là. A peine arrêté et mon magnifique jardin retourné par des troupes de barbares assermentés, je me retrouvais avec sur les bras 32 assassinats d’adolescents fugueurs, 12 meurtres vénaux de vieux en mal d’héritiers et avec en sus les étiquettes un peu simplificatrices et infâmantes de psychopathe, tueur en série et cannibale. J’avais le cœur meurtri, l’âme ravagée, les tripes en ébullition. Ma haie de cornouillers mâles, mon Vilburnus variegata, ma serre, ses aubergines et ses tomates, ma collection de marjolaines et de menthes… tout saccagé par ces Javerts de pacotille.

Et comble du comble, ils trouvèrent des restes de chats et même de chatons en plus des morceaux humains dans mon congélateur. Autant vous dire qu’ils n’entendirent que très peu mon argumentation gastronomique.

Le procès s’est passé de façon aussi grotesque que scandaleuse. Et notre aristocrate pénal très pénible de se pavaner tel un paon qui ne verrait pas qu’il n’a plus de plumes au cul. Mais tout malheur a son revers. Ce procès m’a permis de rencontrer un homme d’un goût exquis : mon avocat, maître Molucarême. Une affable personne dont le seul tort était d’avoir des idées ancrées franchement à droite, ce qui n’est pas pour me plaire, moi qui ait les idées généreuses et progressistes et qui ne porte dans mon cœur ni les nantis ni les parvenus. Par contre l’homme présentait l’avantage non négligeable d’être prêt à tout moyennant des émoluments copieux. Comme tous les avocats et les libéraux me direz-vous, mais lui l’acceptait avec un enthousiasme réjouissant qui me fait subodorer que sous son vernis bourgeois, cet homme-là avait une âme de prédateur semblable à la mienne.

Néanmoins, je suis fort abattu par le résultat du procès. En effet, si je sors blanchi de presque tous les chefs d’accusation qui pesaient sur moi, il n’en reste pas moins que j’ai été condamné pour maltraitance envers des animaux.

Dés lors, on peut encager tous les chasseurs et les employés d’abattoir de ce pays parce que tudieu, s’il y a bien un homme qui a toujours eu à cœur de faire son travail proprement et sans souffrances inutiles pour les chairs sur pattes que je convoitais, c’est moi. Mais voilà, dès qu’il s’agit de chattes et de chiens à leur mémère, les gens sont sottement mièvres et prompts à l’apitoiement visqueux sur le sort des pauvres choux. J’ai donc été condamné pour tout solde de mes prétendus crimes à 215 heures de travaux d’intérêt général.

Et me voilà sur les hauteurs d’Ougrée, bien loin des mes savanes à contempler la misère métallique et charbonneuse que l’homme a étendue au cœur de cette vallée mosane qui devait être si verte et riante autrefois. Au moins puis-je deviner les hauteurs du Sart-Tilman dont les forêts commencent à se teinter de pourpre à travers les brumes méphitiques de ce val de tristesse. Je vais me lever et redescendre vers la ville, vers Seraing, vers le centre d’accueil où je vais servir un brouet noir sans saveur à une clique avachie et claudicante de sans-abris malodorants, de vieilles putes amochées, de pochtrons décatis. Pire que les nantis, je hais ces pauvres qui trainent leur misère et leur inconséquence comme les médailles de bronze d’un concours mondial éternel de la lie humaine. J’aurais pu choisir un endroit plus sympathique et cossu pour payer ma prétendue dette à la société. Cependant, je pensais devoir me punir pour mon inconséquence et l’amateurisme crasse qui m’avaient conduit devant les tribunaux. Amateurisme qui m’aurait valu une solide bastonnade si mon père ne pourrissait pas dans un cimetière.

Me voici donc à déambuler dans ce triste enchevêtrement de laideur et de misère imbécile qu’est Seraing, furoncle disgracieux sur le corps pourrissant de l’horrible et sale ville de Liège, foutoir approximatif de béton plus vaste encore. Me voici à longer ces quais où furent tournées par les frères Dardenne les poursuites les plus mémorables de Taxi 6, artères goudronnées bouchonnées d’un cholestérol humain et automobile où il aurait été plus à propos de tourner un de ces films d’auteurs tristes et soporifiques qui font frétiller pire qu’un tas de gardons en pleine copulation frénétique une quinzaine de réalisateurs Cannoise, repère d’esthètes à la dérive et d’autres intellos branleurs.

Me voici donc à slalomer entre les présents canins aux dieux camés des trottoirs crevassés pour rejoindre mon centre d’accueil, sa soupe populaire, son environnement chiatique d’entrepôts crevés et d’usines agonisantes. Le ciel est vert et les gens du coin, comme à leur habitude sont bleus ou oranges. Pas un blanc dans le coin. Parfois, des cloportes géants, infects tas de chitine gros comme des labradors bien gras, sortent des poubelles dans les impasses et s’accouplent bruyamment au milieu de la rue. Cela ne semble offusquer personne. Et me voici à préparer le café pour ces rebus que je déteste. Ma santé décline ici dans les remugles toxiques et les nuages aveuglant de particules fines. Sans cesse mon nez est encombré de morves gastéropodiennes, purulentes et malodorantes. Alors tous les matins au lever, je recueille soigneusement toutes mes glaires et mes crottes de nez pour les ranger précieusement dans un petit Tupperware. Et je les mélange au café de mes parasites. Ce n’est pas grand-chose mais cela fait partie de toutes ces petites gouttes qui remplissent l’océan du Bonheur.

Et puis il y a Isabelle. Ah ! Isabelle ! Une charmante quadragénaire pleine de bons sentiments et de prétextes au meurtre : chrétienne, concernée, engagée, végétarienne. Et célibataire ex-cocue depuis peu. C’est fou ce que c’est influençable une blonde délaissée.

Attention, je ne vous parle pas ici de coucherie ou de sexualité gluante. A 40 ans je suis encore pur et je ne me commettrai pas dans la dépravation. Je hais les enchevêtrements de cuisses et de bassins. Non, je vous parle de communion des âmes, d’abandon des sens. Surtout le bon, de sens. Figurez-vous qu’Isabelle est technicienne dans un laboratoire de biologie végétale sur le campus du Sart-Tilman et qu’elle y manipule toutes sortes de radioéléments amusants. Des produits peu rayonnants certes, qui rendent la sécurité du labo assez embryonnaire, mais qui versés dans un café pourraient avoir des effets très intéressants sur un organisme.

Je vous vois venir. Mais non, je n’ai aucun projet d’empoisonnement pour mes pauvres âmes en perdition. Sots que vous êtes.

Une fois mon café servi, je me suis rendu dans un des entrepôts désaffectés qui jouxtent mon centre d’accueil. J’y ai vérifié les liens d’Isabelle et la tension de ses muscles. Elle est restée debout une partie de la nuit, attachée à un poteau. Maintenant, je vais l’installer en équilibre sur une chaise, les pieds reliés à une corde qui actionne ingénieusement le déclencheur qui enflammera les 150 kilos de plastic répartis dans le hangar, de quoi évaporer Isabelle, le corps putréfié de maître Molucarême délesté de son foie, le hangar, le centre d’accueil, tout le quartier et une partie des quais serésiens si cinématographiques. Dès qu’Isabelle sera vaincue par la fatigue, ses pieds choieront sottement, tirant sur le déclencheur.

C’est d’une facilité de se procurer des explosifs à Liège ! Il m’a suffit d’accoster un type patibulaire sur cette vaste esplanade à drogués qui s’étale aux pieds mêmes du palais de justice. Il m’a indiqué une officine tenue par une langouste un peu inquiétante mais fort professionnelle ou j’ai pu me procurer tout ce dont j’avais besoin. Après lui avoir serré la pince (humour !), je l’ai tuée pour la dévorer. J’adore les langoustes.

Pour l’avocat, vous me comprendrez : il se tapait des single malts d’une rareté et d’une finesse folles. Je brûlais de savoir si cela avait une incidence sur le goût de son foie : et bien oui ! Et puis ça lui apprendra à ne pas avoir été foutu de me faire acquitter, purement et simplement.

Isabelle me paraît fort vindicative. Je ne puis pourtant la tuer de mes propres mains, ça ruinerait mon plan. Je prends soin de remettre dans son portefeuille sa carte d’accès au laboratoire où j’ai été me procurer un peu de phosphore 32 cette nuit. J’installe ma cocue et je m’éclipse en vitesse ne tenant que moyennement à assister à l’explosion du quartier de trop près.

Et puis, je dois encore passer à l’appartement récupérer mes affaires, surtout mes faux papiers, mon billet pour Athènes et les papiers qui me font propriétaire d’un compte dans une banque lointaine hébergée sur de sympathiques îles tropicales au nom crocodilien, comptes où j’ai placé sur les conseils avisés de Maître Molucarême les économies que j’ai engrangées à force d’abréger les vies déclinantes de vieux esseulés.

Et enfin, avant de me rendre à l’aéroport de Bierset, je passerai au bureau de mon Instituteur du Roi préféré. J’ai, parait-il, des révélations à lui faire. En fait, des broutilles à propos de la prétendue réhabilitation de mon terrain suite au gâchis perpétré par ses limiers. Comme lors de toutes nos conversations orageuses, ce grand nerveux amateur de café, s’en ira contempler la ville par la fenêtre de son bureau, me tournant grossièrement le dos. Tout ça pour éviter la fulgurance de mon regard inquisiteur, misérable lâche. J’en profiterai pour verser le phosphore dans son café. Voilà enfin un traitement qui rendra ce pâle type brillant ! Imaginez-vous l’avilissement de ce pauvre blaireau : il ne boit son café que froid ! Comble du mauvais goût.

Et puis ce sera l’oubli sur les eaux mauves de l’Egée éternelle. Je me réjouis de découvrir le yacht scandaleusement laissé à l’abandon par un petit vieux qui ne gouttait pas assez la fortune d’être riche. Alors, ce seront les enchantements des îles grecques et de leur gastronomie. Quand j’aurai épuisé le sujet, enfin, je mettrai le cap sur la terre ancestrale de l’homme et enfin je trouverai un terrain de chasse à ma mesure. J’espère qu’on peut trouver des crus bourguignons en Afrique !

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