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Le Rustre est un peu dingue. Il a un avis sur tout bien sûr. Et quel avis ! Il a des mentors bien sûr. Et quels mentors ! Pompon, Rémy Bricka, Roger Tout court, Rika Zaraï, les chevaliers playmobils... C'est dire si l'avis du Rustre est pertinent !

Vivement la quille !

 

Dur le réveil. Je me lève. Et je te bouscule. Molécule. Particule. Ridicule. D’autres rimes en "cule" ? Non, je ne vois pas, vraiment. Oui, j'ai l'âme à la poésie au réveil.

Alors que je regarde le café passer d’un air bovin et approximatif, soudain, d’un coup, le doute m’assaille comme on dit dans le Serengeti. Caramba ! Nous sommes le 24 septembre. C’est le jour des vendredis du vin ! Et je n’ai encore rien pondu ! Et le sujet est... ?

Mes yeux s’écarquillent car c’est la quille, le sujet. Comment voulez vous que je complémente le sujet par le verbe si la quille me fout les boules ?

Il me faut en effet vous avouer que le sujet ne m’inspire guère et je voudrais donc qu’on me laisse en paix. Calembour un peu mince pour ne pas dire guère épais. (allusion fine à un dessin animé Pixar : Tolls Toy story)

Non mais… la quille. Et puis quoi encore ? Pourquoi pas le bouchon ou la capsule tant qu'on y est ? Que de superficialité, que de glissades furtives sur la surface effleurée de la mer d’huile des sarcasmes !

Alors que la vérité est ailleurs, dans le verre je veux dire et nulle part ailleurs. Enfin, c’est ce qu’on dit. Mais là, le doute m’habite comme on dit… je ne sais pas où. Peu importe le contenant tant qu’on vide le contenu. Et je vais leur raconter quoi moi à ces gens ? Le contenant mais pas (trop) le contenu… mais encore ?

Bon des quilles élégantes autant qu’étranges et complexes à remiser sur les étagères de ma cave, j’en ai bien quelques-unes.

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Vais-je leur parler d’un vin de Gaillac, avec sa bouteille tellement particulière que tu te dis : "Je ne vais pas acheter ce truc. Comment veux-tu que je l’encave ? Badaboum ça va faire". Et pourtant, elles tiennent !

Peut-être alors pourrais-je évoquer la cuvée Guillaume 2005 du domaine Labarthe. Un vin d’un rouge étincelant dont le boisé délicat se fond bien dans un épais panier d’osier rempli jusque tout au bord de fruits rouges juteux et mûrs et que jusque tout au bord on remplisse nos verres, qu’on les remplisse encore de la même manière pour se délecter de ce jus si frais, si aromatique, si délicatement tannique ? Bof.

Question quille en forme, évidemment, il y a le Jura. Bon, là, je ne peux pas éviter le Savagnin non ouillé 2005 de Stéphane Tissot. Elégante variation d'une sonate pour clavecin… Elle est bonne et pas connue hein ? Elégante variation du clavelin, donc, encapsulée un peu façon cire jaune, étiquette dépouillée, la bouteille en elle-même n’est qu’évocations gourmandes de soirées passées au coin du feu. Si les champignons sont de la partie et qu’on les a cueillis soi-même, c’est encore mieux. Mais le contenu mes amis… Je ne suis pas grand amateur de vivacité assassine de la gencive et laboureuse du palais (ne voyez là aucune allusion à la vie dissolue et décadente de la noblesse, je ne fais pas dans le social aujourd’hui) et parfois, je trouve les vins de Tissot un peu jusqu’au-boutistes en ce sens. Mais là mes amis… Il y a l’acidité et le gras d’une matière bien mûre qui s’entendent comme larrons en foire. C’est long à n’en plus finir et quand c’est fini, il y en a encore : de la noix, du fruit, du paprika plutôt que du curry. Mouais, un peu court comme évocation.

Enfin, je pourrais aussi m’esbaudir devant les étiquettes et les vins de Frédéric Mabileau sur Saint-Nicolas de Bourgueil, et plus particulièrement la cuvée "Eclipse" dont la bouteille, justement, épouse parfaitement les contours élégants d’une quille. Je pourrais mentionner ces masques "commedia dell’arte" souriants qui enluminent fort monastiquement les étiquettes dépouillées. Ce serait l’occasion de répéter combien je trouve que d’un millésime à l’autre la cuvée "Rouillères", qui bretonne toujours joyeusement et dans le bon sens du terme, traduit si bien la typicité en plaisir et combien "Eclipse" quitte les rivages ligériens pour atteindre ceux de la Grande Bleue.

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Mais en fait, non. Je n’évoquerai pas toutes ces bouteilles. Parce qu’en fait la forme de la quille et la couleur des étiquettes, je m’en bats un peu les… tire-bouchons. Même si je n’y suis pas indifférent à 100 %.

Ce n’est pas non plus que je crois que "la vérité est dans le verre." Dans le vert, je ne dis pas, ça me tente. Dans les vers, c’est indéniable. Il s’agit d’une vérité à laquelle nous n’échapperons rouge pas.

Non, dans le verre, il y a du vin. Et au bout du verre un homme (par homme, j’entends aussi femme, ce qui est quand même étonnant si pas un peu court, non ?), avec ses goûts, son passé, ses contradictions. Alors la vérité… vous savez. Je laisse ça aux curés et aux chroniqueurs des magasines de société des chaînes françaises.

Comment voulez-vous que je vous choisisse une quille plutôt qu’une autre ? Il vous faut savoir que chaque bouteille de ma cave est unique, même si elle à 5 ou 11 copines à ses côtés. Peu importe leur contenu. Chacune d’elle est une personnalité, avec son histoire, sa vie.

Mais là, je ne sais si je peux vous emmener dans mes délires. On touche là à mon intimité, à l’essence de ce que représente pour moi le vin.

Comment vous dire ? Prenons cette bouteille de riesling. Non, pas celle-là. L’autre. Oui, elle. Un Kirchberg 2000 de chez Stoeffler. Je l’ai ouverte avec ma femme pour mon anniversaire. En la buvant, je me souvenais parfaitement de ce mois de novembre 2003 en Alsace. Juste après notre mariage, avec nos témoins et néanmoins amis. Je me souviens de la descente d’un Mont Sainte-Odile battu par un vent glacé, des feuilles de charme festonnées de givre, des arbres blancs qui se détachaient sur le ciel bleu. Je me souviens de notre pique-nique sur les pentes du Kirchberg, nos visages bercés, nos esprits apaisés, nos âmes, oserais-je même dire, enfin ramenées à leurs justes proportions par la tiédeur miraculeuse du Grand Cru en ce jour d’automne si proche de l’hiver. "Tu reprends un bout de saucisson ? Et la rillette qui n’en veut ? " 

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Je me rappelle que la balade s’était prolongée par une part énorme de tarte aux myrtilles dans cet antre de la gourmandise à côté de l’Office du Tourisme de Barr. Et évidemment, nous avions fini chez Stoeffler, où nous avions acheté cette bouteille et d’autres.

Et cette bouteille, amis et voisins, a ensuite dormi 7 années dans ma cave. Elle a vu mes déménagements, la naissance de mes enfants, tous mes boires et déboires durant 7 longues années. Bon, pour ceux du fond… c’est une image. En vrai, la bouteille, elle n’a pas vu grand-chose : c’est une bouteille et de toute façon elle était à la cave.

Et un jour de printemps en 2010, le jus de ces raisins qui avaient connu pour de vrai le doux soleil des abrupts coteaux alsaciens en 2000 découvrit la jolie lumière d’un printemps hesbignon, au prétexte que je fêtais mon anniversaire. Ce riesling doré, un vin d’une jeunesse insolente, mêlant senteurs de fruits mûrs et cire évoluée et tellement beau dans son numéro de corde raide entre rondeur et vivacité. Et vous, vous faisiez quoi en 2000 pendant que ces raisins doraient ? Moi, je ne sais plus. Sans doute rédigeais-je ma thèse ou cueillais-je des cornouilles pour en faire du vin.  

Ce que je veux dire à travers cet exemple certes bucolique mais dont le lecteur doit se foutre comme de sa première lampée de Villageoise, c’est que, pour moi, le vin est un marqueur du temps qui passe. Chaque bouteille peut devenir un jalon, une borne. Mes bouteilles sont des pierres blanches que je dépose aux moments de ma vie qui comptent. Des bouteilles qui renferment un jus qui à un moment bien précis fut contenu dans des cellules bien vivantes, aussi vivantes que moi à l’instant présent. Un jus que d’autres cellules vivantes transformèrent en un petit morceau d’éternité par une alchimie subtile bien qu’alcoologène, je le concède à ces gagne-petit de la vie avec un grand V que sont les hygiénistes.

Et en ce sens, chaque bouteille est donc unique parce qu’elle a, qu’elle est une histoire. Une histoire qui commence sur un pied de vigne, qui continue entre les mains et par le travail noble d’un artisan, qui se prolonge par une visite, une découverte et qui se termine par un moment de partage, de plaisir.

Ainsi, chaque bouteille de ma cave regarde le temps et ma vie passés. Et quand j’ouvrirai tel Gevrey de 2005 (un Cazetier de chez Naddef tiens) avec mon fils dans 15 ans, je suis sûr (presque, si on fait fi des possibilités d’empapaoutage complet par la grâce du bouchon) que le moment sera exceptionnel. Au moins pour moi. En ouvrant cette bouteille et tout en savourant le moment présent, je ne pourrai pas m’empêcher de me remémorer la naissance de mon fils, presqu’en même temps que la vendange de ces raisins, et toutes les étapes de sa vie qui l’auront conduit à ce moment de partage avec son père. Je ne pourrais pas non plus m’empêcher, en levant mon verre avec lui, de penser à son avenir et aux bons moments du futur.

Le vin, chaque bouteille de vin, est un jalon des bons moments de notre vie, éphémères présents teintés de souvenirs et d’espoirs.

Et chaque bouteille trouve ainsi sa place dans le Grand Livre des Grands Moments ou dans le petit carnet des instants minuscules volés au temps qui passe. Des amis qui débarquent, des anniversaires, des cueillettes de champignons mémorables, de simples soirées d’été, des instants de jolie lumière. Un peu comme ce Saussignac-ci ou comme ce Chinon-là.

Autant vous avouer aussi, et je m’en excuse auprès des hédonistes aussi purs que durs, que la qualité intrinsèque du vin dans ces moments là, si elle reste évidemment importante, pas du tout secondaire, n’a pas seule voix au chapitre. Que le vin soit juste bon m’est suffisant. Qu’il soit excellent apporte, non pas une cerise, mais au moins une pastèque sur le gâteau.

P9220138 - Copie

Autant vous dire aussi que je comprends ces amateurs de vins anciens qui ouvrent des bouteilles qui ont vu défiler le siècle passé, voire plus. Là, on ne parle plus de vins qui ont connu une vie mais bien l’Histoire avec une grande tache.

Alors évidemment, je reconnais volontiers avec les divers hédonistes épicuriens, quoiqu’un peu rabat-joie, qui pourraient lire ces lignes, que cette vision romantique des choses confine à la niaiserie, voire à la religiosité malsaine et qu’elle comporte, comme toute vision romantique, une part morbide moins entrainante, par exemple, qu’un bon tube de la compagnie créole. Part morbide qui fait de mes bouteilles-jalons, autant de bornes milliaires sur la route du Pays des Racines de Pissenlit.

Peut-être, mais j’assume. Mes contradictions et mes parts d’ombre. Enfin, dans ce cas-ci au moins.

Bon mais c’est pas tout ça. Le sujet, c’est "le contenant pas le contenu, enfin pas seulement." Et je n’ai encore rien trouvé à dire. Et le café finit de passer. Bon je vais lire Marie-Claire moi et je m’en vais délaisser les quilles… Le contenu, pas le contenant vous dis-je. Contenez-vous, fichtre !

Bon et ils disent quoi dans Marie-Claire ?

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I
<br /> <br /> savouré ta "non-contribution" jusqu'au bout - signé:<br /> <br /> <br /> une autre "romantique" de la bouteille, qui ne crains pas d'être traitée de niaise, quand elle se memore certains bouteilles:-)<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Mais qu'ai-je dis. La compil est déjà faite et... il y a vraiment beaucoup de billets ! Avec des moments d'anthologie : le billet hyper-dense de Christian, le billet à fond de calle d'olif... Et<br /> le tiens Iris : parce que les photos des bouteilles sont....<br /> <br /> <br /> Quand je vois des bouteilles comme ça, je me dis que l'âme humaine est très complexe !<br /> <br /> <br /> <br />
P
<br /> <br /> Pour quelqu'un qui regarde vachement les tasses passer comme le préposé au manège de Disney, en manque d'insparation... c'est plutôt réussi, non...<br /> J'aime bien quand tu manques d'idées...<br /> <br /> <br /> Magnifique !<br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Merci les gars. Je suis en train de lire les contributions de tout le monde. C'est chouette mais il y en a un paquet. Courage donc au président pour la compil' !<br /> <br /> <br /> <br />
C
<br /> <br /> Magnifique texte de barjo à moitié halluciné. Pauvres enfants!<br /> <br /> <br /> <br />
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B
<br /> <br /> Magnifique manière d'en parler sans en parler avec un détour qui vaut le détour!<br /> <br /> <br /> J'adore! Merci pour ce moment! Une vraie pastèque sur mon gâteau de Président ;-)<br /> <br /> <br /> François<br /> <br /> <br /> <br />
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