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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 06:33

Le jour de mes 16 ans, mon père m’a expliqué le sens de la vie. « Pour réussir, tu dois te fixer des objectifs. Ne jamais dévier de ta trajectoire met du sens dans tes actes. C’est le secret du Bonheur. »

Je mets un grand B à bonheur parce qu’à l’œil brillant et aux tremolos gaulliens dans la voix de mon père, j’avais senti que ce bonheur-là était majuscule.

Des études d’ingénierie agronomique, un travail rémunérateur, une villa cossue dans un quartier campagnard plein de vie, de chats, d’enfants, de voisins aux idées racornies et jaunâtres. Et la solitude pour mener sans entrave une vie asservie à des objectifs porteurs de sens et d’élan civilisateur, le jardinage par exemple. Un homme droit au regard portant loin.

Très vite, mes objectifs heurtèrent de front les réalités quotidiennes d’un coin rural et néanmoins résidentiel, ses chats, ses enfants, ses voisins jaunis.

Très vite, les chats devinrent un objectif majeur et emplirent ma vie de moments délectables. Je les capturais par mille artifices savants qui me procuraient les délices du fauve tapis dans la savane guettant sa proie. Pièges, sarbacane, coups de pelle dans la gueule. Peu importe, ce qui primait c’était le décorum. Un uniforme de cavalerie nordiste, le sabre au clair, Wagner hurlant ses notes guerrières dans la brume d’une aube pastel, moi vociférant mon cri de mort alors que je trucidais les profanateurs de mes plates-bandes chéries.

Et une fois occis, les arts nobles de la boucherie et de la gastronomie m’affolaient les sens. Souvent je pensais à mon père et à son B majuscule. Par exemple lorsque par de beaux matins d’octobre, je dénichais les pied bleus qui accompagneraient le ragoût félin et le noble cru bourguignon qui feraient mon ordinaire de la mi journée.

Tout bascula le jour où la gamine des voisins, éplorée comme seule une greluche de moins de dix ans peut l’être, vint sonner à mon huis pour m’interroger quant à la disparition d’Hector, sont matou adoré.

Je répondis à cette petite idiote que je connaissais son ami et je l’invitais à venir lui rendre un dernier hommage en se recueillant devant la dernière cuisse de l’animal encore dans mon congélateur.

Je resterai toujours interdit devant le manque de gratitude des enfants. Cela doit venir de l’éducation. Petite conne !

Toujours est-il que trois heures à peine après son départ en pleurs, je me retrouvais à la merci d’une maréchaussée peu amène.

Je me rends compte à présent combien cet événement fut pour moi comme une seconde naissance, fidèle que je suis à un autre grand principe paternel, inculqué à grands renforts de ceinturon dans la tronche, « l’adversité doit toujours être source de renouveau. »

Les premières semaines que je passai en compagnie du Docteur Flammekuche et de son personnel resteront bien sûr parmi les plus éprouvantes de ma vie, tant la rétivité de ces êtres frustes au croquant de l’existence faisait peine à voir. Nous entrâmes tout de suite en conflit à propos de broutilles qu’eux érigeaient sottement en principes : la valeur d’une vie humaine, la valeur intrinsèque d’une oreille et la malséance d’en arracher une avec les dents à un infirmier. Des vétilles vous dis-je.

Petit à petit, je me rendis à de meilleurs sentiments vis-à-vis du praticien et de son équipe. Aujourd’hui que la flagrance de mes erreurs m’est apparue, jamais je ne leur serai assez reconnaissant de l’équilibre qu’ils ont apporté à ma vie. Certes, ce fut à coup de douches glacées, de caissons d’isolement et sous la douce torpeur protectrice d’une épaisse camisole chimique. Mais aujourd’hui, je puis dire que je suis guéri et je puis de nouveau déambuler parmi mes contemporains en homme épanoui.

Arrière Wagner et tes oripeaux guerriers. Une nouvelle vie. Un nouveau quartier. Et de nouveaux objectifs. J’ai inscrit mon existence dans une optique de partage et de confraternité avec mon prochain. Une phrase qui réjouirait le cœur de ce brave Dr. Flammekuche s’il était encore de ce monde.

Prenez mes voisins par exemple, des gens adorables quoique fort âgés. Chaque jour ou presque, je les aide dans leur désir d’aménager leur jardin. Mon goût pour les espèces originales y trouve son épanouissement. Je leur ai composé un magnifique jardin de curé avec légumes, plantes aromatiques et médicinales. Ces braves gens ont cinq chats, les compagnons fidèles de leurs vieux jours.

Aider son prochain. Bel objectif, papa, en vérité. Etre fervent à l’église, aux oeuvres scolaires, au comité des fêtes. La probité. L’ascèse… percée bien entendu (je n’ai rien perdu de mon humour ravageur).

Une aide, gratuite, discrète, toujours discrète, voilà mon pain quotidien.

Ces pauvres hères que je croise au long des routes de ma région frontalière. Des adolescents errant au plus profond de la nuit, en décrochage de la société, des chiens perdus. Cette jeune Isabelle, 16 ans. Pauvre âme. Une trop longue exposition aux railleries de la bande de primates sous-développés qui se trouvaient être ses condisciples lui avaient mis en tête qu’elle était grasse comme un hamburger. Allons-donc ! Bien en chair peut-être mais si jolie, si délicieuse. Après avoir croisé mon chemin, écouté ma parole, elle est partie rassérénée, le sourire aux lèvres.

Quand je pense à mes frasques félines… Vil fou que j’étais. Le Dr Flammekuche m’a bien expliqué que je tentais de tuer le père en m’exposant de la sorte alors que mon éducation avait été si stricte. Tuer le père oui.

Une seconde fois, métaphoriquement. Vu que la première fois avait été la bonne. C’est fragile un vieux grabataire. Le coussin de son lit peut en témoigner.

Il y a trois jours, on a enterré mes voisins, une cérémonie magnifique. Les malheureux. Ils avaient mangé une salade garnie avec le bouquet de fleurs comestibles que j’avais semé dans leur jardin : souci, capucine, origan, Aconit napel. Evidemment, il faut être sot pour se lancer dans la « cuisine nature » sans aucune connaissance botanique. Introduire une plante mortelle comme l’aconit dans un plat sous prétexte de sa beauté envoûtante, c’est bien une étourderie de néo-rural ! Et qui se douterait de l’origine de cette petite erreur, vu que j’ai toujours adoré jardiner au petit matin dans la quiétude, quand aucun œil ne vous épie.

Et surtout, délice suprême, qui va donc pleurer la disparition mystérieuse de leurs chats ?

Je suis ici sur ma terrasse à admirer le soleil qui se couche sur mon jardin miraculeusement déserté par les chats. Je termine mon succulent dîner rendant hommage à mes voisins, à Isabelle, à mon père, au Bonheur et aux objectifs.

Tomates juteuses de ma serre, purée de panais tirés ce soir même de ma terre. Une de mes plus magnifiques bouteilles : un carignan de vieilles vignes de 2005.

Le Bonheur.

Une entrée somptueuse : Un carpaccio de chaton tapé. Simple à faire. Le petit dernier des voisins, le crâne explosé contre un mur. Puis on tranche finement à chaud. Basilic, champignons, balsamique et huile d’olive truffée. Tomates séchées. Etre généreux sur le parmesan.

Et bien sûr, la pièce de résistance : un superbe rôti cuit longuement à basse température avec une croûte de sel et de romarin. Une chair fondante, goûteuse à souhait. J’en étais sûr, c’est bien meilleur que le chat. Mes facultés d’anticipation me laisseront toujours pantois. J’avais raison Isabelle : ta cuisse est délicieuse.

Bien sûr, je sais qu’un jour, je devrais partir. Les gens sont suspicieux vous savez. Et puis mon jardin a beau faire vingt ares, il commence à être encombré de mes exploits. Et la poudre d’os est peut-être un excellent amendement, il y a néanmoins des parties difficiles à broyer.

Peu importe, ma nouvelle identité dort déjà dans un tiroir. Le monde s’offre à moi. Tant de destinations. Tant d’objectifs. Parfois, je songe aux mares où viennent s’abreuver les fauves dans l’ocre vespérale de la savane primordiale. Et en Afrique, n’est-on pas moins prompt à faire grand cas de la disparition d’un enfant ? Il s’en passe de belles vous savez là-bas. La barbarie humaine me laissera toujours sans voix.

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