Note : comme tous les articles de la rubrique "Lieux", celui-ci se veut évolutif en fonction de mes visites, de mes rencontres, des textes et renseignements que je peux glaner dans des livres et sur le net. Il est possible que j'y profère des idioties, je remercie d'avance ceux qui pourraient apporter précisions et corrections. Enfin, ce texte ne contient pas de notes de dégustations : c'est au lieu que je m'attache.
Présentation
Le Zotzenberg est un grand cru alsacien situé sur la commune de Mittelbergheim, magnifique village, perle d’un long chapelet de bourgs opulents et fleuris comme Barr, Andlau, Nothalten… Il est difficile de trouver une étymologie probante à ce toponyme (l’hypothèse la moins farfelue évoque un terme slave signifiant sapin ou épicéa ou un lieu situé sous une montagne, nous en parlerons plus loin). Pourtant, arpentez cette colline au printemps. Commencez votre balade par un casse-croûte sur l’aire de pique-nique jouxtant le parking du Zotzenberg à la sortie de Mittelbergheim vers Barr, et vous verrez qu’en vrai de vrai, Zotzenberg signifie « douceur de vivre ». Les tables ombragées par des Prunus fleuris de rose invitent à ne même pas emprunter le sentier viticole mais plutôt à faire une sieste. Le Zotzenberg est tout en douceur et en courbes voluptueuses. Ici, pas de longues pentes abruptes.
En partant vers le Haut-Andlau...
Sous les murailles du château de Haut-Andlau, le Zotzenberg occupe les flancs de la colline sous-vosgienne de Mittelbergheim. Il épouse la forme d’une cuvette regardant la vallée de l’Andlau, c'est-à-dire orientée au sud et au sud-est. Il s’étend sur 36,45 Ha entre 200 et 320 mètres d’altitude. Protégé des vents et de pluies qui viennent du nord et de l’ouest par les collines plus hautes (le Crax par exemple, dont on aperçoit le flanc ). Dès le printemps, les vents du sud permettent un dégel précoce. Ces mêmes vents, même s’ils apportent des orages violents en été, sont bénéfiques à l’arrière saison pour les vendanges tardives et les sélections de grains nobles.
Géologie, sous-sol et sol.
Comme le Kirchberg de Barr, c’est un terroir essentiellement marno-calcaire, mais le flanc est du cru est supporté par des formations gréseuses. Le promeneur qui emprunte le sentier viticole depuis le parking prend le chemin du bas du vignoble, puis après quelques centaines de mètres bifurque à droite et grimpe sur le chemin du haut par le seul raidillon digne de ce nom de la balade. Ainsi, il traverse les différentes couches géologiques qui soutiennent le cru. Face au parking, on remarque bien le grès ferrugineux aalénien (base du jurassique moyen ou dogger, il y a 175 millions d'années), de couleur rougeâtre à la base du muret.
Le grès ferrugineux, très rouge, juste en face du parking. Et la balise... le GR 5 qui permet de rejoindre Nice.
Ensuite, ce sont des formations gréseuses du bajocien (période suivant l'aalénien, -170 Millions d'années, grès vosgien, marnes gréseuses) qui forment le sous-sol. Dès avant de monter sur la partie haute du cru, on traverse des terrains faits de marnes et de calcaires oolithiques du jurassique moyen, au bajocien toujours. Puis le dessus du Zotzenberg est composé de conglomérats marno-calcaires à galets du dogger de l'Oligocène.
Fragment de calcaire oolithique et détail des oolithes (en dessous)
La subdivision traditionnelle (au moins depuis le 19ème siècle) entre oberer et unterer Zotzenberg de recouvre pas fidèlement ces distinctions géologiques.
Les sols issus de la désagrégation des sous-sols et des apports de sédiments récents sont diversifiés. Pour résumer, le sol du Zotzenberg est de nature argilo-limoneuse.
Le sol argilo-limoneux riche en cailloutis calcaire.
En reprenant notre balade depuis le parking, la partie située au dessus du centre du village, sur les marnes gréseuses, est composée d’une formation argilo-sablo-limoneuse rouge, ferrugineux, à fragments calcaires. Ce type de sol convient parfaitement au Pinot Gris (6 Ha) et au Gewurztraminer (7 Ha).
Ensuite, la plus grande partie du cru est composée d’une formation argilo-limoneuse à fragments calcaires de couleur ocre sur marnes jurassiques. C’est elle, en milieu de pente qui convient au sylvaner (14 Ha). La partie haute, plus calcaire encore, convient bien au Riesling (7 Ha). Le lecteur consultera le site www.zotzenberg.com sur lequel il pourra se procurer une carte des sous-sol et une autre des sols de Mittelbergheim.
Histoire et étymologie
Le Zotzenberg est mentionné dès 1348 et la vigne y est connue depuis le 15ème siècle (1438). La signification du terme est hasardeuse. En 1364, on le trouve sous la forme Zoczenberg. On y a vu une forme « bohémienne » en rapport avec la présence de gitans en Alsace au 15ème siècle. Sosai signifie lièvre en gitan. C’est une hypothèse farfelue : le nom se retrouve près de 100 ans avant les gitans. Un peuple de passage bref laisse rarement des traces toponymiques, on n'arrive pas à faire dérivé zotz de sosai.
La littérature dénote comme possible une origine slave signifiant sapin, épicéa. Je suis beaucoup plus séduit par deux autres explications. Une origine latine d’abord, a rapproché du mot italien zozzio, en-dessous. Le Zotzenberg serait alors le Mont sous la Montagne. Un mot romain aurait pu donner un Zocz ou Zotz en roman. Cette origine suppose un substrat roman après les invasions germaniques. Vu la toponymie de la région avoisinante, c’est étonnant.
Par contre en Allemand (Bavière, Rhénanie, Brandebourg), de nombreux toponymes de lacs de montagnes, de villages contiennent la racine Zotzen. Et il ne faut peut-être pas chercher plus loin : une origine germanique ancienne. Mais la signification du terme est obscure et soutenue par peu de références. On retiendra celle d’ancienne forêt, plausible et celle de "longs cheveux", plus énigmatique.
Flore rencontrée
J’ai parcouru le Zotzenberg plusieurs fois en avril. La flore décrite est donc limitée au printemps. C’est une flore typique des sols riches en substances nutritives, travaillées régulièrement avec un bon apport hydrique (mais pas trop copieux : drainage). En cela, la flore est la même que sur le Kirchberg de Barr. Cependant, une caractéristique du lieu est d’abriter une belle et rare fleur sauvage : la Tulipe sauvage ou Tulipa sylvestris.
Cette liliacée est originaire d’Asie mineure et de l’ancienne Perse. Elle a été introduite en Europe au 16ème siècle (vers 1550, en provenance dit-on des jardins de Soliman le Magnifique) quand des botanistes comme Dodonoeus ou Charles de l’Ecluse s’émerveillent des richesses botaniques de l’orient et introduisent bulbes et graines dans les Parcs et jardins des grands du monde. La tulipe s’échappa et se naturalisa.
Elle était autrefois abondante dans les vignobles bien exposés et bien drainés, en bordure des champs… Elle aime les sols plutôt riches en substances nutritives. La modernisation des méthodes culturales et notamment l’emploi des désherbants est à l’origine d’une forte raréfaction de l’espèce justifiant sa protection. Les conditions de culture sur le Zotzenberg permettent son maintient.
Les autres plantes observées, pour lesquelles des détails sont donnés dans les légendes des photos, traduisent aussi la richesse du substrat et son drainage correct. Les adventices sont en gros les mêmes que celles observées sur le Kirchberg de Barr.
Aux côtés des tulipes, poussent du lamier pourpre et des capselles bourse-à-Pasteur, typiques des bords de chemins et lieux cultivés régulièrement mis à nu . Le lamier aime un sol riche en substances nutritives, en matière organique fraiche. On est ici au bord du chemin. Il ne faut donc pas conclure à une vie du sol déficiente qui peinerait à décomposer la matière organique et à recycler l'azote. Il y a juste des écoulements réguliers qui amènent de la matière régulièrement.
La Véronique Petit-Chêne. Elle apprécie les sols plutôt basiques, pas trop secs et riches en azote.
Véroniques et Becs de grue...
Muscari et trèfles...
Le sylvaner et le Zotzenberg.
Pleure vigne de printemps...
Entre le cépage et le cru, c’est une vieille histoire d’amour qui aboutira en 2005 à son intégration à la liste des cépages autorisés sur le grand cru (au détriment du muscat) grâce à la ténacité des vignerons de Mittelbergheim. Auparavant, les mêmes vins devaient être déclassés en appellation Alsace.
Ici, on paie de sa personne pour le travail des sols...
Ce cépage a représenté 80 % des surfaces du cru, à l’heure actuelle, il couvre 40 % du vignoble. Si le Sylvaner a été introduit en Alsace à la fin du 18ème siècle, ce n’est qu’un siècle plus tard, qu’on le retrouve dans toute l’Alsace (1870).
Dès le début du 20ème siècle, Sylvaner et Zotzenberg forment un couple reconnu. Un "Zotzenberg", c’est du sylvaner.
Sur ce terroir tiède aux extrémités de la belle saison, au terroir argileux drainant mais assurant un apport hydrique régulier, le Sylvaner, sensible aux gelées de printemps à cause de son débourrage précoce rencontre un rendement relativement limité (55 Hl/Ha max.). Les vignerons tiennent à leur identité et à leur terroir. C’est ainsi qu’on peut y voir des vignes enherbées un rang sur deux, des sols travaillés et... des fleurs !
Taille guyot à deux cordons...
La lutte contre le ver de la grappe, comme fièrement annoncé à l’entrée du cru, est menée par confusion sexuelle plutôt que par aspersion de pesticides. On peut noter également de jolis bosquets préservés de cerisiers et de prunelliers dans le paysage. Des murets parsèment le vignoble, source de biodiversité supplémentaire (lézard des murailles notamment).
Les alentours du Zotzenberg.
Sur le sentier viticole du Zotzenberg
Des bosquets de prunelliers et d'autres arbustes sont un gage de biodiversité sur le cru.
Le sentier viticole permet de rejoindre les balades du Club Vosgien vers le Crax, les rochers de Sainte Richarde, la chapelle Sainte-Anne perdue dans la forêt et évidemment le Château de Haut-Andlau.
En route vers le Crax, vous emprunterez l’amusante Balade des espiègles, parsemée de sculptures sur bois naïves perchées sur les troncs d’arbres.
Pour l’amateur de flore, ce sera l’occasion de rencontrer au printemps la jolie flore des sous-bois avec notamment la Pulmonaire officinale et la Parisette à quatre feuilles. Notez que la première partie du bois se déroule sur les mêmes types de terrain que ceux du grand cru. Sous couvert forestier, les feuilles accumulées forment un humus riche (le mull polytrophe actif), doux et relativement humide. Outre les plantes reprises en photos ci-dessous, l'ail des ours est typique sur ce sol et effectivement, on en trouve en abondance dès qu'on pénètre dans la forêt.
Pulmonaire officinale sans taches
Parisette à quatre feuilles
Violettes et anémones sylvie
Et bien sûr, au retour de la promenade, il ne faut pas rater le village, magnifique, où les demeures cossues des 16 et 17ème siècles de vignerons, témoignent d’une renommée des vins dès ces époques. Le village est tout entier marqué par la viticulture. Pour les amateurs du genre, je conseille les scènes reconstituées des gestes du vigneron d’autrefois avec des automates . Ces scènes mécaniques sont malheureusement en train de mourir de leur belle mort. Faites quand même attention aux enfants… les mannequins ont un air de famille avec le clan des zombies et la tribu des morts vivants…
J'espère ne pas avoir été trop long, vous aurez de la lecture pour les longues soirées d'hiver...
Sources "webographiques" :
http://fr.geneawiki.com/index.php/67295_-_Mittelbergheim
http://oenophil.over-blog.fr/article-11053155.html http://www.zotzenberg.com/geologie/images/geologiques.jpg http://www.zotzenberg.com/geologie/images/superficielles.jpg http://www.domaine-gilg.com/grand-cru-zotzenberg-vin-alsace-m13.html http://floredunordest.free.fr/IMG/pdf/liliidees.pdf http://nature.jardin.free.fr/1107/tulipa_sylvestris.html http://www.tulipes-mania.fr/history_fr.html Et pour des infos complémentaires sur la flore, vous relirez (allons-y pour la pub), le sujet sur le Kirchberg de Barr. |