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26 octobre 2011 3 26 /10 /octobre /2011 05:58

 

 

De lourds rouleaux d’un gris d’étain roulent en troupes pressées sur la vallée poussiéreuse au teint éteint des noires cendrées crachées par les usines tonitruant rageusement du travail des forges dans la nuit.

Et les tours de refroidissement noirâtres lancent sans fin de leurs veilleuses rouges des SOS que personne ne comprend dans le ciel amoindri. Assis seul dans la poussière d’un terril, je pleure sur mes rêves de savanes et de fauves au pelage ruisselant de sueur dans les ors du crépuscule du pays des matins du monde.

C’est une torture de l’admettre, mais je n’ai pas été suffisamment vigilant. Ils m’ont pris. Alors même que je m’apprêtais à poursuivre ma geste héroïque sous des cieux d’azur ayant vu la naissance même de cette humanité si désinvolte, ils sont venus. Et je n’ai toujours pas compris pourquoi. Ni comment ils ont su.

Mon procès fut rondement mené. Je fus très déçu. S’il y a une seule chose que j’aime sur ces écrans vomissant sans cesse médiocrité intellectuelle et promiscuité des sexes et des laides âmes, ce sont les feuilletons judiciaires américains. Je jouis de la roublardise, de la verve et de l’aplomb de ces avocats américains qui s’asseyent avec une outrecuidance magnifique sur la morale emperlousée propre aux banlieusards étroits d’esprits que j’abhorre.

Autant vous dire que la justice belge est loin, très loin, de cette magnificence. Imaginez des palais de justice ringards, sombres et poussiéreux, encombrés de boiseries et de velours d’un autre âge. Sales, passéistes, crotteux en vérité. Et des hommes de loi trainant de lourds accents rustauds, des strabismes divergents, des zézaiements convergents. Une bien piètre vision de la petitesse d’un pays qui regarde les pétales de pâquerettes par le dessous.

Un pâle personnage portant nom saugrenu à la fragrance délicatement métallique du couperet dégoulinant de sang bleu et chaud dans le petit matin, Monsieur Charles-Henri de La Pichardière, a instruit mon cas. Car en Belgique, il revient à l’instituteur du roi de rassembler les preuves contre et en votre faveur. Le roi doit être bien inculte avec des instituteurs de cet acabit. C’est qu’en terme d’instruction, il fit les choses au pas de charge et en fouillant les décharges, le nobliau du barreau. Mais il parait que c’est ainsi en droit belge. Comment parler de droit dans un pays où tout va de travers je vous le demande.

Bref. Je ne sais trop comment notre fin de race procédurière a mené son affaire mais les faits sont là. A peine arrêté et mon magnifique jardin retourné par des troupes de barbares assermentés, je me retrouvais avec sur les bras 32 assassinats d’adolescents fugueurs, 12 meurtres vénaux de vieux en mal d’héritiers et avec en sus les étiquettes un peu simplificatrices et infâmantes de psychopathe, tueur en série et cannibale. J’avais le cœur meurtri, l’âme ravagée, les tripes en ébullition. Ma haie de cornouillers mâles, mon Vilburnus variegata, ma serre, ses aubergines et ses tomates, ma collection de marjolaines et de menthes… tout saccagé par ces Javerts de pacotille.

Et comble du comble, ils trouvèrent des restes de chats et même de chatons en plus des morceaux humains dans mon congélateur. Autant vous dire qu’ils n’entendirent que très peu mon argumentation gastronomique.

Le procès s’est passé de façon aussi grotesque que scandaleuse. Et notre aristocrate pénal très pénible de se pavaner tel un paon qui ne verrait pas qu’il n’a plus de plumes au cul. Mais tout malheur a son revers. Ce procès m’a permis de rencontrer un homme d’un goût exquis : mon avocat, maître Molucarême. Une affable personne dont le seul tort était d’avoir des idées ancrées franchement à droite, ce qui n’est pas pour me plaire, moi qui ait les idées généreuses et progressistes et qui ne porte dans mon cœur ni les nantis ni les parvenus. Par contre l’homme présentait l’avantage non négligeable d’être prêt à tout moyennant des émoluments copieux. Comme tous les avocats et les libéraux me direz-vous, mais lui l’acceptait avec un enthousiasme réjouissant qui me fait subodorer que sous son vernis bourgeois, cet homme-là avait une âme de prédateur semblable à la mienne.

Néanmoins, je suis fort abattu par le résultat du procès. En effet, si je sors blanchi de presque tous les chefs d’accusation qui pesaient sur moi, il n’en reste pas moins que j’ai été condamné pour maltraitance envers des animaux.

Dés lors, on peut encager tous les chasseurs et les employés d’abattoir de ce pays parce que tudieu, s’il y a bien un homme qui a toujours eu à cœur de faire son travail proprement et sans souffrances inutiles pour les chairs sur pattes que je convoitais, c’est moi. Mais voilà, dès qu’il s’agit de chattes et de chiens à leur mémère, les gens sont sottement mièvres et prompts à l’apitoiement visqueux sur le sort des pauvres choux. J’ai donc été condamné pour tout solde de mes prétendus crimes à 215 heures de travaux d’intérêt général.

Et me voilà sur les hauteurs d’Ougrée, bien loin des mes savanes à contempler la misère métallique et charbonneuse que l’homme a étendue au cœur de cette vallée mosane qui devait être si verte et riante autrefois. Au moins puis-je deviner les hauteurs du Sart-Tilman dont les forêts commencent à se teinter de pourpre à travers les brumes méphitiques de ce val de tristesse. Je vais me lever et redescendre vers la ville, vers Seraing, vers le centre d’accueil où je vais servir un brouet noir sans saveur à une clique avachie et claudicante de sans-abris malodorants, de vieilles putes amochées, de pochtrons décatis. Pire que les nantis, je hais ces pauvres qui trainent leur misère et leur inconséquence comme les médailles de bronze d’un concours mondial éternel de la lie humaine. J’aurais pu choisir un endroit plus sympathique et cossu pour payer ma prétendue dette à la société. Cependant, je pensais devoir me punir pour mon inconséquence et l’amateurisme crasse qui m’avaient conduit devant les tribunaux. Amateurisme qui m’aurait valu une solide bastonnade si mon père ne pourrissait pas dans un cimetière.

Me voici donc à déambuler dans ce triste enchevêtrement de laideur et de misère imbécile qu’est Seraing, furoncle disgracieux sur le corps pourrissant de l’horrible et sale ville de Liège, foutoir approximatif de béton plus vaste encore. Me voici à longer ces quais où furent tournées par les frères Dardenne les poursuites les plus mémorables de Taxi 6, artères goudronnées bouchonnées d’un cholestérol humain et automobile où il aurait été plus à propos de tourner un de ces films d’auteurs tristes et soporifiques qui font frétiller pire qu’un tas de gardons en pleine copulation frénétique une quinzaine de réalisateurs Cannoise, repère d’esthètes à la dérive et d’autres intellos branleurs.

Me voici donc à slalomer entre les présents canins aux dieux camés des trottoirs crevassés pour rejoindre mon centre d’accueil, sa soupe populaire, son environnement chiatique d’entrepôts crevés et d’usines agonisantes. Le ciel est vert et les gens du coin, comme à leur habitude sont bleus ou oranges. Pas un blanc dans le coin. Parfois, des cloportes géants, infects tas de chitine gros comme des labradors bien gras, sortent des poubelles dans les impasses et s’accouplent bruyamment au milieu de la rue. Cela ne semble offusquer personne. Et me voici à préparer le café pour ces rebus que je déteste. Ma santé décline ici dans les remugles toxiques et les nuages aveuglant de particules fines. Sans cesse mon nez est encombré de morves gastéropodiennes, purulentes et malodorantes. Alors tous les matins au lever, je recueille soigneusement toutes mes glaires et mes crottes de nez pour les ranger précieusement dans un petit Tupperware. Et je les mélange au café de mes parasites. Ce n’est pas grand-chose mais cela fait partie de toutes ces petites gouttes qui remplissent l’océan du Bonheur.

Et puis il y a Isabelle. Ah ! Isabelle ! Une charmante quadragénaire pleine de bons sentiments et de prétextes au meurtre : chrétienne, concernée, engagée, végétarienne. Et célibataire ex-cocue depuis peu. C’est fou ce que c’est influençable une blonde délaissée.

Attention, je ne vous parle pas ici de coucherie ou de sexualité gluante. A 40 ans je suis encore pur et je ne me commettrai pas dans la dépravation. Je hais les enchevêtrements de cuisses et de bassins. Non, je vous parle de communion des âmes, d’abandon des sens. Surtout le bon, de sens. Figurez-vous qu’Isabelle est technicienne dans un laboratoire de biologie végétale sur le campus du Sart-Tilman et qu’elle y manipule toutes sortes de radioéléments amusants. Des produits peu rayonnants certes, qui rendent la sécurité du labo assez embryonnaire, mais qui versés dans un café pourraient avoir des effets très intéressants sur un organisme.

Je vous vois venir. Mais non, je n’ai aucun projet d’empoisonnement pour mes pauvres âmes en perdition. Sots que vous êtes.

Une fois mon café servi, je me suis rendu dans un des entrepôts désaffectés qui jouxtent mon centre d’accueil. J’y ai vérifié les liens d’Isabelle et la tension de ses muscles. Elle est restée debout une partie de la nuit, attachée à un poteau. Maintenant, je vais l’installer en équilibre sur une chaise, les pieds reliés à une corde qui actionne ingénieusement le déclencheur qui enflammera les 150 kilos de plastic répartis dans le hangar, de quoi évaporer Isabelle, le corps putréfié de maître Molucarême délesté de son foie, le hangar, le centre d’accueil, tout le quartier et une partie des quais serésiens si cinématographiques. Dès qu’Isabelle sera vaincue par la fatigue, ses pieds choieront sottement, tirant sur le déclencheur.

C’est d’une facilité de se procurer des explosifs à Liège ! Il m’a suffit d’accoster un type patibulaire sur cette vaste esplanade à drogués qui s’étale aux pieds mêmes du palais de justice. Il m’a indiqué une officine tenue par une langouste un peu inquiétante mais fort professionnelle ou j’ai pu me procurer tout ce dont j’avais besoin. Après lui avoir serré la pince (humour !), je l’ai tuée pour la dévorer. J’adore les langoustes.

Pour l’avocat, vous me comprendrez : il se tapait des single malts d’une rareté et d’une finesse folles. Je brûlais de savoir si cela avait une incidence sur le goût de son foie : et bien oui ! Et puis ça lui apprendra à ne pas avoir été foutu de me faire acquitter, purement et simplement.

Isabelle me paraît fort vindicative. Je ne puis pourtant la tuer de mes propres mains, ça ruinerait mon plan. Je prends soin de remettre dans son portefeuille sa carte d’accès au laboratoire où j’ai été me procurer un peu de phosphore 32 cette nuit. J’installe ma cocue et je m’éclipse en vitesse ne tenant que moyennement à assister à l’explosion du quartier de trop près.

Et puis, je dois encore passer à l’appartement récupérer mes affaires, surtout mes faux papiers, mon billet pour Athènes et les papiers qui me font propriétaire d’un compte dans une banque lointaine hébergée sur de sympathiques îles tropicales au nom crocodilien, comptes où j’ai placé sur les conseils avisés de Maître Molucarême les économies que j’ai engrangées à force d’abréger les vies déclinantes de vieux esseulés.

Et enfin, avant de me rendre à l’aéroport de Bierset, je passerai au bureau de mon Instituteur du Roi préféré. J’ai, parait-il, des révélations à lui faire. En fait, des broutilles à propos de la prétendue réhabilitation de mon terrain suite au gâchis perpétré par ses limiers. Comme lors de toutes nos conversations orageuses, ce grand nerveux amateur de café, s’en ira contempler la ville par la fenêtre de son bureau, me tournant grossièrement le dos. Tout ça pour éviter la fulgurance de mon regard inquisiteur, misérable lâche. J’en profiterai pour verser le phosphore dans son café. Voilà enfin un traitement qui rendra ce pâle type brillant ! Imaginez-vous l’avilissement de ce pauvre blaireau : il ne boit son café que froid ! Comble du mauvais goût.

Et puis ce sera l’oubli sur les eaux mauves de l’Egée éternelle. Je me réjouis de découvrir le yacht scandaleusement laissé à l’abandon par un petit vieux qui ne gouttait pas assez la fortune d’être riche. Alors, ce seront les enchantements des îles grecques et de leur gastronomie. Quand j’aurai épuisé le sujet, enfin, je mettrai le cap sur la terre ancestrale de l’homme et enfin je trouverai un terrain de chasse à ma mesure. J’espère qu’on peut trouver des crus bourguignons en Afrique !

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19 octobre 2011 3 19 /10 /octobre /2011 06:33

Le jour de mes 16 ans, mon père m’a expliqué le sens de la vie. « Pour réussir, tu dois te fixer des objectifs. Ne jamais dévier de ta trajectoire met du sens dans tes actes. C’est le secret du Bonheur. »

Je mets un grand B à bonheur parce qu’à l’œil brillant et aux tremolos gaulliens dans la voix de mon père, j’avais senti que ce bonheur-là était majuscule.

Des études d’ingénierie agronomique, un travail rémunérateur, une villa cossue dans un quartier campagnard plein de vie, de chats, d’enfants, de voisins aux idées racornies et jaunâtres. Et la solitude pour mener sans entrave une vie asservie à des objectifs porteurs de sens et d’élan civilisateur, le jardinage par exemple. Un homme droit au regard portant loin.

Très vite, mes objectifs heurtèrent de front les réalités quotidiennes d’un coin rural et néanmoins résidentiel, ses chats, ses enfants, ses voisins jaunis.

Très vite, les chats devinrent un objectif majeur et emplirent ma vie de moments délectables. Je les capturais par mille artifices savants qui me procuraient les délices du fauve tapis dans la savane guettant sa proie. Pièges, sarbacane, coups de pelle dans la gueule. Peu importe, ce qui primait c’était le décorum. Un uniforme de cavalerie nordiste, le sabre au clair, Wagner hurlant ses notes guerrières dans la brume d’une aube pastel, moi vociférant mon cri de mort alors que je trucidais les profanateurs de mes plates-bandes chéries.

Et une fois occis, les arts nobles de la boucherie et de la gastronomie m’affolaient les sens. Souvent je pensais à mon père et à son B majuscule. Par exemple lorsque par de beaux matins d’octobre, je dénichais les pied bleus qui accompagneraient le ragoût félin et le noble cru bourguignon qui feraient mon ordinaire de la mi journée.

Tout bascula le jour où la gamine des voisins, éplorée comme seule une greluche de moins de dix ans peut l’être, vint sonner à mon huis pour m’interroger quant à la disparition d’Hector, sont matou adoré.

Je répondis à cette petite idiote que je connaissais son ami et je l’invitais à venir lui rendre un dernier hommage en se recueillant devant la dernière cuisse de l’animal encore dans mon congélateur.

Je resterai toujours interdit devant le manque de gratitude des enfants. Cela doit venir de l’éducation. Petite conne !

Toujours est-il que trois heures à peine après son départ en pleurs, je me retrouvais à la merci d’une maréchaussée peu amène.

Je me rends compte à présent combien cet événement fut pour moi comme une seconde naissance, fidèle que je suis à un autre grand principe paternel, inculqué à grands renforts de ceinturon dans la tronche, « l’adversité doit toujours être source de renouveau. »

Les premières semaines que je passai en compagnie du Docteur Flammekuche et de son personnel resteront bien sûr parmi les plus éprouvantes de ma vie, tant la rétivité de ces êtres frustes au croquant de l’existence faisait peine à voir. Nous entrâmes tout de suite en conflit à propos de broutilles qu’eux érigeaient sottement en principes : la valeur d’une vie humaine, la valeur intrinsèque d’une oreille et la malséance d’en arracher une avec les dents à un infirmier. Des vétilles vous dis-je.

Petit à petit, je me rendis à de meilleurs sentiments vis-à-vis du praticien et de son équipe. Aujourd’hui que la flagrance de mes erreurs m’est apparue, jamais je ne leur serai assez reconnaissant de l’équilibre qu’ils ont apporté à ma vie. Certes, ce fut à coup de douches glacées, de caissons d’isolement et sous la douce torpeur protectrice d’une épaisse camisole chimique. Mais aujourd’hui, je puis dire que je suis guéri et je puis de nouveau déambuler parmi mes contemporains en homme épanoui.

Arrière Wagner et tes oripeaux guerriers. Une nouvelle vie. Un nouveau quartier. Et de nouveaux objectifs. J’ai inscrit mon existence dans une optique de partage et de confraternité avec mon prochain. Une phrase qui réjouirait le cœur de ce brave Dr. Flammekuche s’il était encore de ce monde.

Prenez mes voisins par exemple, des gens adorables quoique fort âgés. Chaque jour ou presque, je les aide dans leur désir d’aménager leur jardin. Mon goût pour les espèces originales y trouve son épanouissement. Je leur ai composé un magnifique jardin de curé avec légumes, plantes aromatiques et médicinales. Ces braves gens ont cinq chats, les compagnons fidèles de leurs vieux jours.

Aider son prochain. Bel objectif, papa, en vérité. Etre fervent à l’église, aux oeuvres scolaires, au comité des fêtes. La probité. L’ascèse… percée bien entendu (je n’ai rien perdu de mon humour ravageur).

Une aide, gratuite, discrète, toujours discrète, voilà mon pain quotidien.

Ces pauvres hères que je croise au long des routes de ma région frontalière. Des adolescents errant au plus profond de la nuit, en décrochage de la société, des chiens perdus. Cette jeune Isabelle, 16 ans. Pauvre âme. Une trop longue exposition aux railleries de la bande de primates sous-développés qui se trouvaient être ses condisciples lui avaient mis en tête qu’elle était grasse comme un hamburger. Allons-donc ! Bien en chair peut-être mais si jolie, si délicieuse. Après avoir croisé mon chemin, écouté ma parole, elle est partie rassérénée, le sourire aux lèvres.

Quand je pense à mes frasques félines… Vil fou que j’étais. Le Dr Flammekuche m’a bien expliqué que je tentais de tuer le père en m’exposant de la sorte alors que mon éducation avait été si stricte. Tuer le père oui.

Une seconde fois, métaphoriquement. Vu que la première fois avait été la bonne. C’est fragile un vieux grabataire. Le coussin de son lit peut en témoigner.

Il y a trois jours, on a enterré mes voisins, une cérémonie magnifique. Les malheureux. Ils avaient mangé une salade garnie avec le bouquet de fleurs comestibles que j’avais semé dans leur jardin : souci, capucine, origan, Aconit napel. Evidemment, il faut être sot pour se lancer dans la « cuisine nature » sans aucune connaissance botanique. Introduire une plante mortelle comme l’aconit dans un plat sous prétexte de sa beauté envoûtante, c’est bien une étourderie de néo-rural ! Et qui se douterait de l’origine de cette petite erreur, vu que j’ai toujours adoré jardiner au petit matin dans la quiétude, quand aucun œil ne vous épie.

Et surtout, délice suprême, qui va donc pleurer la disparition mystérieuse de leurs chats ?

Je suis ici sur ma terrasse à admirer le soleil qui se couche sur mon jardin miraculeusement déserté par les chats. Je termine mon succulent dîner rendant hommage à mes voisins, à Isabelle, à mon père, au Bonheur et aux objectifs.

Tomates juteuses de ma serre, purée de panais tirés ce soir même de ma terre. Une de mes plus magnifiques bouteilles : un carignan de vieilles vignes de 2005.

Le Bonheur.

Une entrée somptueuse : Un carpaccio de chaton tapé. Simple à faire. Le petit dernier des voisins, le crâne explosé contre un mur. Puis on tranche finement à chaud. Basilic, champignons, balsamique et huile d’olive truffée. Tomates séchées. Etre généreux sur le parmesan.

Et bien sûr, la pièce de résistance : un superbe rôti cuit longuement à basse température avec une croûte de sel et de romarin. Une chair fondante, goûteuse à souhait. J’en étais sûr, c’est bien meilleur que le chat. Mes facultés d’anticipation me laisseront toujours pantois. J’avais raison Isabelle : ta cuisse est délicieuse.

Bien sûr, je sais qu’un jour, je devrais partir. Les gens sont suspicieux vous savez. Et puis mon jardin a beau faire vingt ares, il commence à être encombré de mes exploits. Et la poudre d’os est peut-être un excellent amendement, il y a néanmoins des parties difficiles à broyer.

Peu importe, ma nouvelle identité dort déjà dans un tiroir. Le monde s’offre à moi. Tant de destinations. Tant d’objectifs. Parfois, je songe aux mares où viennent s’abreuver les fauves dans l’ocre vespérale de la savane primordiale. Et en Afrique, n’est-on pas moins prompt à faire grand cas de la disparition d’un enfant ? Il s’en passe de belles vous savez là-bas. La barbarie humaine me laissera toujours sans voix.

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12 octobre 2011 3 12 /10 /octobre /2011 07:01

Dans une aube rose et crème, le soleil pointait à peine ses rayons, caressant la nature assoupie au sortir de l’hiver. Des peupliers pelés, lovés dans quelque étole de brume diaphane, attendaient frileusement le vrai printemps qui les sortirait enfin de la torpeur. Dans le petit monde secret des bosquets et des buissons, une mésange zinzinulait tout en s’afférant à débusquer quelque vermisseau tapis dans l’entrelacs de branches dénudées. Lointain, on entendait un pic pleupleutant entre deux séances frénétiques de martelage d’une souche morte.

Soudain, mâle et rauque, retentit un « Montjoie, Saint Denis ! » qui stoppa net les divagations poétiques de toute cette création grotesque.

Non mais merde quoi ! J’t’en donnerais moi des zinzinulations gratuites… A coups de crosse ouais, la mésange délicate ! A ma botte, je veux les voir tous ces emplumés. A ma pogne les gazouilleurs édentés des haies.

Non mais, z’ont rien d’autre à cogner ces fainéants ? On dit que la nature va mal, mais ils le cherchent aussi. Ca se lève tôt, mais ça ne bosse pas ! Et ben non, ils zinzinulent et ils pleupleutent, les fâcheux ! Moi, je dis qu'il y a de la chevrotine qui se perd !

Soit. Reprenons.

Le sabre au clair, le casque rutilant, le tutu rose frémissant au vent, il est là, l’Homme, le Héros, le Sauveur. Ecce homo, et pas qu’un peu.

Les traits fichtrement burinés, les intentions sévèrement burnées.

Comme à l’accoutumée par petit matin, je faisais le tour de mes terres, les cheveux fous, le regard au vent sur mon fier coursier, étalon de noble race arabe. Et pas arable. C'est pas un cheval de trait non plus.

Vous qui n’avez aucune imagination, vous n’auriez vu qu’un type bizarrement vêtu, enfourchant un vieux manche à balai muni d’une tête de cheval en carton et faisant cataclop cataclop pour faire comme si pour de vrai. Mais vous n’êtes que d’infâmes rustauds dénués de la moindre parcelle de poésie enfantine. Que dis-je ? D’ignobles réactionnaires urbains assoiffés d’émissions d’une télé grabataire qu’on dit ré-alitée. Des suppôts du grand capital spoliateur globalisé.

Fouchtra ! Arrières monstrueux pensionnaires d’un fort-Boyard de pacotille offert aux affres des pensées lubriques de technocrates avilis…

Pédés du cul !

Seul contre tous les chacals, je montais la garde, immuable dans mon habit de lumière.

Le sabre, la cuirasse et le casque surmonté d’une fière crinière jaune striée de bleu, le tutu rose et les collants noirs à pois multicolores : fuchsia, vert bouteille, ocre pâle.

M’entourant de ses oriflammes guerrières, la musique sauvage de Wagner rugissait dans tout le voisinage.

Quelque malotru traitreux vendu à la solde de l’engeance féline me vitupérait, bien planqué, le lâche, derrière la fenêtre de sa chambre, m’enjoignant, dans la langue vulgaire qui est celle des sots et des vilains, de « fermer ma gueule de cinglé et de cesser ce boucan » non sans ponctuer sa vile diatribe d’un «connard, gros enculé » du plus mauvais aloi. Rustaud !

«Descends donc de ton donjon, baltringue, et viens tâter de ma lame dans tes fesses molles » lui rétorquais-je avec véhémence.

Non mais vous vous rendez-compte de la fainéantise de ces bouseux qui se targuent d’être des citoyens, d’avoir des droits, mais qui trainent encore leur savate en pyjama… à cinq heures du matin !

Ah j’vous jure ! Pas coopératifs les voisins pour ce qui est de l’élan purificateur de ma croisade sacrée contre les grippeminauds à l’air sournois. C’est que l’ennemi est veule et peu avare de ses ressources. Il s’adapte, il louvoie, il contourne. Salopiaud !

Ah souvenirs délicieux ! Pour l’heure me voici à vaquer à des tâches domestiques peu enrichissantes mais nécessaires. Mon esprit ressasse et mâchonne.

J’avais remarqué une inquiétante perte d'efficacité de la Trempe ces derniers temps. Réagissant en bon stratège, j’ai entamé une escalade vertigineuse dans la taille des pièges et du bac d’eau, la vigueur des paillettes de mon habit de scène (passant d’une sobre tenue de capitaine nordiste à la tenue légèrement rococo décrite plus haut). Escalade jusque dans le volume sonore des vociférations wagnériennes, que Bayreuth à côté c’est un récital en sourdine de Charlotte Gainsbourg et Etienne Daho accompagnant une première Dame de France aphone !

Nonobstant cette course frénétique à l’armement, j’ai du me rendre à l’évidence : les veules mistigris me narguaient. La trempe avait cessé de fonctionner. Il fallait réagir.

On sonne à l’huis, interrompant le fil de mes cogitations.

Une petite morveuse de cinq ans vient gémir à ma porte pour savoir si je n’ai pas vu « Hector ». Dieu qu’elle est laide cette gamine. On dirait un furoncle avec des dents et une couette !

« Je suppose, petite gourde, que par « Hector » tu veux parler de ce tas de poils hirsutes qui se plaisait à pisser sur mes poireaux et à faire ses griffes sur le tronc de mon Vilburnus variegata ? Et bien sache qu’il peut se vanter d’avoir fait progresser la science, ta sale bête. Grâce à lui, j’ai pu tester ma nouvelle sarbacane. Une vraie merveille. Je fabrique les fléchettes moi-même avec des piques à brochettes crantées à l’opposé de la pointe pour enrouler un fil d’ouate et composer la boule qui offrira la résistance voulue à mon souffle puissant, résistance qui par réaction et défiant les forces de frottement du tube, propulsera le projectile dans les chairs de l’ennemi. Mais, je suppose petite gourde que tu n’y entends rien. On ne donne probablement pas de cours de physique dans les écoles maternelles. On devrait. Et puis des cours de pharmacologie aussi tiens. Tu comprendrais alors la redoutable efficacité de la macération d’Aconit napel, et de Digitale pourpre dont j’enduis mes flèches. J’ai essayé avec le clébard des Lequeu. Radical. »

Si vous me permettez un petit aparté, laissez-moi vous entretenir des Lequeu qui habitent à trois jardins du mien. Figurez-vous que leur labrador respirait très bruyamment, la langue pendante. Des heures durant en plus. Je m’en suis plaint.

Des gens vulgaires et grossiers ces Lequeu. Des nouveaux riches.

Ils m’ont répondu :  « z’êtes con ou quoi ? Il n’aboie jamais. Il a eu un cancer du larynx. On a du lui enlever les cordes vocales. C’est pour ça qu’il respire bruyamment, ça cicatrise. Vous allez pas me dire que ça vous emmerde à 150 mètres non ? »

« Et bien si, Môssieur le Bourgeois ! Il m’hôte les fulgurances de l’esprit, votre clébard emphysémateux… »

J’ai traqué ma proie à la tombée du jour, tel le fauve au muscle tressaillant qui rampe vers son repas dans la savane. Ce fut facile, l’animal convalescent ne bougeait guère. Mais foutre gras me fut de laisser là pareille pièce de viande. Mais vu la dose de poison dont j’avais enduit les flèches…

J’épargnai le récit de cette geste canine à la jeune écervelée qui minaudait à la recherche de son patte-pelu, toute tremblante devant mon courroux… ou bien était-ce devant l’accoutrement pourtant fort sobre que je revêt pour faire la vaisselle ? Un ensemble seyant composé d’un cycliste très moulant de couleur vert pomme, d’une bouée « petit canard » avec deux amusants grelots en guise d’yeux, sans oublier bien sûr, le masque, le tuba et les palmes. C’est que, voyez-vous, j’ai une sainte horreur de l’eau. Alors petit évier ou pas, pour la vaisselle, je prends mes précautions.

Je m’empressai de rassurer la gamine sur le sort de son minet.

«Ne t’en fais pas. Je n’ai pas empoisonné ton chat. C’est qu’il me fallait regarnir mon congélateur. Alors je l’ai chopé quand il est venu se tailler les griffes contre mes arbrisseaux. Deux fléchettes sans poison. Une dans le ventre et l’autre dans le cou. Un tir admirable. Il n’a presque pas souffert.

Enfin, pas longtemps.

Plus après trois bons coups de pelle dans la gueule en tout cas. Mais ne pleure donc pas petite imbécile. Tiens, si tu veux lui dire un dernier adieu, il doit m’en rester une cuisse qui traîne dans le congélateur… »

Figurez-vous que l’ingrate s’en est allée en hurlant. Quelle dinde cette gamine ! Et pour vous dire l’esprit procédurier des gens, ses parents m’ont envoyé la maréchaussée. Je me demande si c’est tendre de la cuisse de voisin ?

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5 octobre 2011 3 05 /10 /octobre /2011 10:43

Bonjour à tous.

  

A partir de ce mercredi et durant les semaines suivantes, je voudrais vous emmener sur les pas d'un monsieur très sympathique. Sympathique en diable même puisqu'il mange les chats, tue les chiens des vieux esseulés, déteste les enfants et plus largement l'humanité. Oh, je sais, vous le connaissez déjà puisque ses méthodes barbares mais jouissives furent décrites ici et . Ces deux prochaines semaines, vous relirez les deux premiers épisodes de la saga condensés, réécrits en partie pour qu'ils fassent plus "nouvelle". Et ensuite, durant plusieurs semaines notre personnage vous emmènera plus profond, encore et toujours, dans les arcanes de son univers... comment dire... Un peu à côté de la plaque. Entre nous, faites gaffe. Il habite peut-être votre rue.

  

Pour vous donner une idée de ce qui vous attend, les titres des prochains épisodes :

  

La Trempe, Sarbacane, Les Objectifs ou rédemption, Liège gourmande, Régime crétois et langoustines, Comme un fauve dans la savane.

 

 

Episode 1 : la trempe.

Amis jardiniers, amoureux du potager, adeptes du poireau, bio ou pas, bonjour ou bonsoir, c’est selon.

Je voudrais vous entretenir d’une des plaies majeures de nos plates-bandes et des pelouses verdoyantes où s’ébattent nos bambins pleins de vie et d’espoir en des jours meilleurs qui pourtant ne viendront peut-être pas. Je voudrais éveiller votre vigilance face à un des fléaux principaux de nos semis fraichement effectués dans la terre nourricière, terre enfin rendue amoureuse par les ardents rayons de l’astre du jour qui s’offre à la douce poésie d’un matin printanier bruissant de la ferveur aviaire.

Je veux bien sûr parler d’une cause légitime de juste courroux du jardinier amateur meurtri dans sa chair…

Ce sont ces saloperies de chats, ces foutus immondices velus qui chient partout, empuantissent nos légumes de leurs projections nauséabondes, retournent nos semis de leurs griffes et de leur panse paresseuse de pourris parasites de l’humanité. Sus mes preux, taillons dans la viande, brisons les os, fendons les crânes, éviscérons gaiement. La gent féline doit payer.

Hum… excusez mon emportement soudain. Cela ne sied pas à un texte qui se veut purement didactique. Reprenons le propos, si vous le voulez bien, sur le ton docte et serein qui convient.

Je vais vous exposer aujourd’hui une solution miraculeuse pour éloigner nos chers amis félins de nos jardins, efficacement, à peu de frais, sans dommages collatéraux ni folie meurtrière (ou si peu). Il s’agit de la TREMPE !

Cette méthode demande juste l’obtention d’un piège à fouine (une cage munie d’une trappe à sens unique) muni de poignées, d’un peu de kit et kat (ou de sheba pour les chats gourmets), de gants en cuir épais, d’un poste de radiodiffusion mobile et muni de piles (rechargeables si la fibre écologique vous habite et chargées, c’est mieux), d’un peu de musique violente et tonitruante, de vêtements voyants, d’un sabre et, le plus important…

D’une bassine d’eau…

Plus grande que le piège….

Pardon ? Mais non voyons, je ne suis pas un « sadique ».

Reprenons.

Le déroulement des opérations est d’une sobriété approchant le carrément désertique, voire le dépouillé.

Après avoir repéré le lieu de passage préférentiel d’un de nos amis de la gent féline (un gros crapuleux marcou de préférence), déposez à cet endroit le piège, garni de kit et kat (ou même de whiskas, ne soyons pas sectaires que diable mes preux).

Tapissez vous, tel le fauve guettant sa proie au coucher du soleil, qui darde de ses rayons pourpres le point d’eau perdu au milieu des hautes herbes ocres d’une savane africaine riche et joyeuse alors même que meurent, les enfants d’Afrique oubliés par le train de la civilisation. Putain que c’est beau Germaine.

Bref…

Le chat approche, renifle la nourriture offerte à ses désirs et, cédant à sa veulerie toute féline, pénètre dans le piège qui, brusquement autant qu’inexorablement, se referme sur sa misérable carcasse de fienteur pelé.

Il est fait comme un rat, ce qui pour un chat est déjà un beau châtiment. S’en est fait de sa rouerie, le fourbe.

C’est alors que vous surgissez de votre retraite, arborant un rictus dément, hurlant comme une bête. Tel un ouragan monégasque, vous fondez sur votre proie.

Suspens, car c’est ici qu’une importante parenthèse se doit d’être ouverte. Préalablement à votre machination, vous aurez pris soin de disposer votre appareil de diffusion musicale sur piles à portée raisonnable. Au moment même où le piège se referme sur l’ennemi, ayant positionné le curseur de volume sur « à fond », vous lancez la musique. Pas n’importe laquelle. Quelque chose de raffiné. Du Sepultura ou « thunderstruck » du groupe AC/DC peuvent convenir. Personnellement, j’ai un penchant dans ce genre de situation (mais dans ce genre là uniquement) pour la musique teutonne incitant au massacre aveugle mais salvateur. La Charge des Walkyries est une sorte de maître achat pour la circonstance. Maître à chats. Décidément, la finesse de mon humour navigue dans des sphères stratosphériques.

Autre parenthèse, vous aurez également pris soin de revêtir pour l’occasion ce qu’il est convenu d’appeler votre habit de lumière.

Un déguisement de superman, un uniforme de la SS peuvent convenir. Une tenue de danseur de la troupe à Béjart aussi, mais moins.

Là aussi, je suis enclin à suivre mes intimes inclinaisons. Et mon penchant personnel me pousse vers un uniforme de la cavalerie états-unienne de la guerre de sécession avec le grand chapeau, le sabre brillant et tout le toutim ou bien celui d’un cuirassier napoléonien. Ca a beaucoup de gueule mais pour la planque dans la savane, le casque, c’est un peu chaud.

Revenons à nos moutons, enfin à nos chats (et vous vous esbaudirez encore à la finesse de mon humour) et résumons-nous mes braves. La veule créature prise au piège, vous balancez la sauce à fond, vous surgissez dans votre habit de lumière en roulant des yeux et alors…

Soit en poussant des hurlements rauques et gutturaux,

soit en éructant un truc bien senti du genre « ça va être ta fête, enculé », « Montjoie, Saint Denis » ou encore « Morts aux Flamands »,

soit en faisant les deux,

vous fondez sur l’animal telle la justice divine sur le peuple égyptien.

Tout en continuant à gueuler comme un forcené, les yeux injectés de folie et de sang, vous attrapez le piège et vous le trempez dans la bassine d’eau.

Attention ! Des trempages courts et répétés doivent être préférés à une seule plongée de dix minutes. Il ne s’agit pas d’être taxé de barbarie par les chochotes de Gaïa ou l’engeance végétalienne de PETA mais juste de donner une leçon méritée et définitive à l’ennemi, leçon assénée avec pédagogie, calme et dignité.

Mais enfin, c’est vous qui voyez après tout. Si par malheur, dans la générosité de votre élan civilisateur et purificateur, il arrivait un accident, le chat, après séchage, s’accommode bien, paraît-il, d’une sauce chasseur. Un vin puissant mais fin (un cru de Gevrey par exemple) accompagnera parfaitement ce met longuement mijoté. Invitez les propriétaires de l’animal (le papa et la maman de la bête) au festin, ils n’en feront que plus facilement leur deuil.

Cependant, si tout se passe bien, après cinq à dix minutes de bains répétés, coupez la musique. Si possible, arrêtez de hurler comme un dingue et déposez le piège à la sortie de votre propriété. Libérez le matou. Il fuira sans demander son reste, le couard. S’il se rebellait ou même s’il ne fuyait pas assez vite, prenez soin d’avoir à disposition une bonne pelle. Un grand coup sur la gueule de ce prétentieux récalcitrant et le tour est joué. La sauce chasseur l’attend !

Normalement, après la capture de quelques chats, vous pourrez ranger votre piège. La diffusion régulière, dans les cent-vingt dB de votre musique rituelle (Wagner dans mon cas), de nuit ou au petit matin, suffira à faire fuir les félins. Pour renforcer encore plus le réflexe d’évitement des chats, vous ferez régulièrement le tour de votre jardin dans votre tenue de combat, le sabre au clair, en criant à tue-tête votre « cri de guerre ». Vous pouvez aussi reprendre votre musique a capella.

Cette méthode, terriblement efficace, risque cependant d’indisposer plus que de raison votre voisinage bourgeois, bien-pensant et un peu serré du cul, il faut le dire. Allez savoir pourquoi.

Est-ce la diffusion régulière de la charge des Walkyries à pas d’heure dans votre jardin, le fait de vous y voir déambuler en uniforme de cavalerie nordiste, brandissant un sabre et chantant à tue-tête : « ta ta ta taaaa taaa ta, ta ta ta taaa taaa ta (1), Montjoie, Saint Denis » qui incommode ? Ou est-ce plus simplement l’étroitesse d’esprit du beauf campagnard ?

Qu’importe, j’ai des recettes tout aussi simples et efficaces pour se débarrasser de deux autres plaies de notre temps : les psy et les voisins !

(1)  : Vous n’aviez pas reconnu ? Je ne félicite pas votre incompétence crasse et l’absence totale de musicalité de votre âme blafarde. C’est l’air des Walkyries évidemment.

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26 septembre 2011 1 26 /09 /septembre /2011 13:09

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C’était un petit val de verdure où chantait un ru d’argent. Il s’ébrouait en glissant sur de gros blocs de quartzite faisant le dos rond au long travail de sape de l’eau.

Etendu sous les nues, la douceur du polytric épais lui caressant la nuque, Georges regardait les grands pins ployer sous la brise. Il écoutait leur plainte apaisante, le souffle tempétueux qui lui rappelait son enfance, les harmoniques de la bise prise dans les pins, son à nul autre pareil qui extirpe de la chair les douleurs les plus terribles.

La douleur lancinante le quittait enfin et ne demeurait que le rire enfantin de sa femme, sautant de rocher en souche, s’éloignant de lui. Georges souriait tant il était bien, tant le sifflement des pouillots et la plainte tiède des pins l’apaisaient. Georges enfin, lui d’ordinaire si stressé, fâché avec la vie et avec le repos, goutait au plaisir de s’arrêter et d’observer. Il sentait la mousse caressante et humide. Il entendait les oiseaux, il sentait le jeu du soleil et des ombres sur sa peau. Le soir tombait, enrobant doucement toute chose d’obscurité.

Parfois la douleur revenait, irradiante et insupportable. Parfois, Georges sentait encore un peu de la chaleur de son sang qui s’échappait de ses plaies. Parfois, la conscience de ses membres disloqués lui revenait. Mais jamais trop longtemps parce que ce val moussant de rayons obscurs était félicité.

Les grands rochers de quartzite qui dominaient le vallon ne cessaient de prendre des formes étranges et rigolotes. Le rire de sa femme s’était tu. Elle qui l’avait poussé du haut des rochers rigolards. Elle qui lui avait dit de bien profiter du paysage avant de s’éloigner en riant comme une folle. Son frère et sa femme. Jamais il n’aurait imaginé. Son frère qui avait déjà presque tout pour lui, leur père ayant fait tout ce qui était légal à sa mort pour que Georges ait le moins possible et son frère la plus grosse part de la fortune familiale. Il ne restait même plus à Georges sa jolie épouse à présent.

Mais Georges souriait parce que la quiétude et l’obscurité gagnaient maintenant. Et sous la danse au vent des pins, l’oubli.

Il fallut du temps pour que Georges reprenne conscience de lui. Plus encore pour qu’il se rappelle des autres et du vallon moussu. Il y eut l’obscurité, la lumière crue d’une grande salle blanche, les voix, beaucoup de voix, le brouillard et puis maintenant l’obscurité à nouveau.

Une obscurité à peine perturbée par un fin croissant de lune qui émergeait parfois de nuages furieux. Georges remontait en silence l’allée de gravillons qui conduisait à la demeure de son frère.

Georges se souvenait plus ou moins de tout : la surprise, le choc, le rire de sa femme, la douleur atroce mais plus encore, dominant tout le reste, le son des pins ployant au vent. Il n’éprouvait pas de colère, à peine de la rancœur. Georges goutait enfin aux joies des sentiments simples et apaisés, aux idées émergeantes et jamais achevées. Lui qui durant toute sa vie avait été la victime d’un caractère orageux et torturé. Lui qui dans des crises incontrôlables de rage avait battu comme plâtre son vieux père puis sa femme si charmante.

Et maintenant toute cette quiétude. Sa sieste sous les pins lui avait fait du bien. Depuis « l’accident », Georges n’avait plus qu’une conscience lointaine et parsemée d’absences. Juste un vase brisé avec des images éparses dans le cristal. Par exemple, il ne savait pas comment il était revenu ici. Par contre, il savait qu’il allait rentrer dans la maison, qu’il allait s’y installer et vivre avec celle qui fut son épouse et celui qui était encore son frère. Pendant un temps au moins.

Il savait que son frère avait le cœur fragile et sa femme l’esprit au bord du gouffre depuis longtemps. Georges passa sous les caméras de l’énorme grille en fer qui fermait la propriété pour la nuit. Il savait qu’il y avait un système d’alarme mais Georges n’avait que faire des caméras et des systèmes d’alarme.

Il arriva face à la porte d’entrée en chêne massif. Avec son aspect ancien et cossu, elle disait à elle seule la débauche de fric dans laquelle baignait son frère et pas lui. Elle était fermée à clé et sous alarme elle aussi. Mais Georges n’en avait cure, ni des sirènes ni des serrures.

Il entra et décida d’aller voir directement les deux amants qui devaient dormir dans la chambre au-dessus du salon. Pour cela, Georges aurait du emprunter le corridor puis l’interminable escalier puis encore un corridor sans fin. Et Georges était fatigué. Heureusement, Georges se foutait royalement des corridors, des escaliers et des étages comme des murs et des plafonds. Il monta directement. Il les vit. Il eut à ce moment là une bouffée, une seule, de haine sauvage comme au bon vieux temps. Une envie de cogner qui le fit se sentir vivant comme jamais auparavant.

Puis il se ravisa. Sa colère à peine née partait vers l'oubli balayée par le vent dans les arbres. Il ne pouvait pas frapper, ni étouffer, ni poignarder. Même si l’envie l'en avait dévoré. Georges le savait, il était dans un état confinant à la paralysie complète. Peut-être était-ce la mélodie des pins qui l’avait anesthésié ?

Après la sieste sous les pins, il y avait eu la salle blanche et les voix. Puis le brouillard et de nouveau l’obscurité, une obscurité rougeoyante. Et d’autres voix qu’il avait envie d’écouter, des voix aux conseils avisés. Bribes. Eclats de souvenirs. Le vent dans les pins.

Georges ne pouvait pas les frapper et les voir se vider de leur sang dans le lit. Mais il allait rester auprès d’eux, chaque instant du jour et de la nuit. Surtout de la nuit. Et il ferait les choses dont les voix rouges lui avaient parlé. Des bruits. Des coups. Des souffles. Des chuchotements à la fin d’un CD de Dido. Et puis parfois, pas trop souvent parce que ça le consumerait, ils pourraient le voir, fugitif dans un miroir, éclair sur l’écran de la télé.

Faire crever le premier de trouille. Rendre l’autre poufiasse folle de terreur, de chagrin et de remords. Qui sait ? Jusqu’au suicide peut-être ?

Georges ne pouvait pas cogner mais il allait prendre du plaisir. Encore un peu de plaisir en ce bas monde avant de rejoindre les ombres rougeoyantes où ne le bercerait plus jamais la mélodie du vent dans les pins.

 

PS : merci Arthur, merci le vent, merci les pins !

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17 novembre 2010 3 17 /11 /novembre /2010 07:34

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La Chapelle 6 : Epilogue

 

Pour voir les épisodes précédents 

 

Le train filait sur les rails de l’oubli, berçant Cécile de son tacatac régulier et la suspendant à nouveau sur le fil de la réalité. Ce soir, ses parents finiraient de la remettre… sur les rails justement.

 

 On était lundi après-midi. Le train était désert et étranger à toute voix humaine, surtout celles des filles. Au départ de Stavelot, elles avaient tenté des conversations anodines. Les prochaines vacances d’été par exemple. Iraient-elles ensemble ? Ou pas ? Où ? Quand ?

 

Le genre de conneries qu’on se raconte quand on veut éviter les sujets qui fâchent tout en sachant qu’ils ne demandent qu’à débarquer. Le silence, en fin de compte, se révélait plus confortable. Et puis il y avait un "Femmes d’aujourd’hui" qui trainait. Bon sang, Charlotte Gainsbourg ne pourrait vivre sans ses enfants. Zut ! Comment Cécile avait-elle pu vivre jusqu’à maintenant en ignorant de le savoir ?

Alors que l’Amblève allaient se vautrer dans l’Ourthe, Sandrine rompit le silence d’une voix claire, décidée, Sandrinesque, un peu effrayante aussi. Dans le genre tout va bien mais je suis hystérique.

-Tu avais raison hier Cécile. Sur toute la ligne. Je regrette. Tu ne peux pas savoir.

-Arrêtes. J’ai exagéré. Le choc. On a dit qu’on en parlait plus. La rando, la tempête… Je suis aussi fautive que toi.

-Je ne te parle pas de ça. Mais de nous deux. De moi surtout. Tu as raison : je suis butée, égoïste, têtue, psychorigide. Je suis une jeune coincée et une triste bigote. Un jour, je regarderai derrière moi et je verrai toute ma vie, droite, plate, ennuy… Pffffff… Emmerdante comme pas deux

-Sandrine… t’es pas obligée de… Tu es aussi une chouette fille. Faudrait que je sois une sacrée tarte sinon pour te supporter depuis nos 6 ans, non ? Il y a aussi une Sandrine droite, fidèle, généreuse… croyante aussi.

-Tout à fait. Croyante, c’est sûr. Plus que jamais persuadée que même si la plupart des neuneus trouvent ça ringard, l’Evangile reste un exemple. On dira ce qu’on veut, mais on n’a pas sorti grand-chose de mieux que "Aimez-vous les uns les autres". Mais ce n’est pas le sujet. Tu le sais non ?

-Euh… Non. Je ne te suis plus.

-Mais si… Je suis… Je confonds un peu la foi et… disons mes boulets personnels. Et je t’entraîne… Enfin, bref, tu devrais sauter sur l’occasion. Pour une fois que j’admets que je suis une emmerdeuse.

-Bon… ben on est d’accord alors. Ca ne m’empêche pas de t’adorer.

-Stop. OK ? Laisse moi finir… Je tourne autour du pot. Le pot, c’est la chapelle. Il faut qu’on en parle. Maintenant.

-Non. On oublie.

-Si, Cécile.

-Et tu veux dire quoi ? On s’est perdues. On est tombées dans les pommes. J’ai déliré dans le genre pas joli. Point barre.

-Tu ? ON a déliré. Le même délire à deux, je pense. Et je me rappelle de tout.

-Moi, pas de grand-chose, mentit Cécile.

Puis Sandrine lui enfonça un pieu dans le cœur.

-Ah oui ? Tu as oublié les beaux yeux de Mathieu de Lontzen ?

Sandrine pleurait et Cécile avait prit la teinte d’une feuille vierge.

-Tu veux que je continue Cécile ? Oui ? Oui ? Je ne sais pas si tu as aimé ? Je pense que oui. Moi, oui en tout cas. Faire "ça" toutes les deux, je veux dire. Entre autres. Le civet n’était pas mal non plus.

-Non. NON ! Télépathie, pouvoir du lieu, délire… je ne sais pas, mais c’était un rêve Sandrine. Un fantasme… qui me fait honte. Je ne veux plus…. Un rêve Sandrine… Les examens… nous… nous… On est toujours vierges merde !

-Oui… et moi ? tu crois que je n’ai pas honte. Honte de moi, de toi…

-Quoi ?

-Mais enfin, sois honnête ! Tu crois que c’est arrivé comme ça ? Arrêtes ! On en avait envie toutes les deux, depuis des lustres. Je le sais. Tu le sais. C’est en nous. Et ça fait des années qu’on, qu’on enterre ça avec tout le reste !

Silence. Souffles courts. Larmes. Puis Cécile reprit.

-Va falloir vivre avec… ou sans. Enfin je crois.

-Et donc, tu vas enterrer tout ça ? Oublier ? Vivre avec ça toute seule, à te demander si tu, si nous avons rêvé, fantasmé, sous influence de… je ne sais pas moi : du lieu, de son énergie ou de ses fantômes ? Tu sais Cécile, en me réveillant, j’avais simplement honte d’avoir fait un rêve… aussi dégueulasse et d’avoir aimé en plus. Et puis, j’ai entendu l’histoire du docteur, et j’ai entendu le nom de Mathieu de Lontzen. J’ai aussi vu ta tête et j’ai compris. Compris que tu savais. Ca m’a fait comme un coup de pied dans le ventre. Puis ça m’a bouffée toute la journée… jusqu’à hier soir.

Cécile restait prostrée mais d’un autre côté, écouter Sandrine, admettre avec elle, partager ça avec elle… La grande Sœur Frigidaire… peut-être. Mais Cécile avait aimé Sandrine malgré tout depuis tant d’années. Il y avait bien une raison à ça...

-Et… tes conclusions, Mademoiselle "Frigidaire" ?

-Deux. D’abord, nous sommes en vie alors que nous… pourrions.. être mortes. Mortes. Et ensuite…

Sandrine regarda le paysage. Elles pleuraient toutes les deux à présent. Quel beau lundi !

Des larmes. Sans connaître la part de regrets, de honte, de libération, d’acceptation, de renoncement, contenue dans ces pleurs. Pas à la décimale près en tout cas. Mais surtout, surtout, elles retrouvaient une impression perdue depuis longtemps : celle d’être sur le même canal. De partager sans mots. De vivre à l’unisson. Alors comme il fallait inaugurer cette confiance retrouvée, Cécile termina.

-Et ensuite, c’était un cauchemar. Mais à la fin seulement. A la fin, au réveil. Quand au lieu de continuer à nous enfoncer, nous sommes revenues à la surface, aux apparences.

- C’est ce que tu penses ?

- C’est ce que je sens.

-Moi aussi. Enfin à peu près…

Silence plus léger cette fois. Sandrine souriait maintenant, un peu tristement, mais les yeux secs.

-Tu sais ce que je vais faire le week-end prochain ? Je vais faire hurler mes parents. Je vais aller à l’anniversaire de Nicolas… à sa soirée.

Cécile se rappela l’invitation que le garçon  avait donné à toute la classe, même à elles. Et de la moue de dédain quand elle avait lu le papier devant le garçon. Un gentil gars en fait. Footballeur, mais gentil.

-Tu vas… à une soirée ?

-Mmmhh…

-Tout ça à cause d’un rêve ? Un rêve spécial, ok, terrifiant, un peu. Mais un délire Sandrine… Et toi, tu passes du noir au blanc ? A cause… d’un rêve… euh… cochon ?

-Alors, tu ne sais pas, n’est-ce-pas ? Tu es sincère ?

-Hein ?

-Hier soir, je t’ai demandé un mouchoir. Je pleurais.

-Et ?

-Et va voir dans la poche de ton sac, celle avec les mouchoirs et les chaussettes.

A ce moment, quand même, Cécile se demanda si Sandrine avait encore toutes ses frites dans le même sachet, comme aurait dit justement Nicolas le gentil footballeur. Pour être agréable, alors qu'elle n’avait vraiment aucune idée de ce que Sandrine lui voulait, elle ouvrit la poche. Ne vit rien. Puis écarta mouchoirs et chaussettes…

Les examens sanguins n’avaient presque rien d’anormal. Juste quelques traces d’alcool…

Elles écarta les chiffons. Et vit un goulot. Elle tira un peu sur la bouteille pour voir l’étiquette. Après avoir remis tout en place, elle imita Sandrine, regardant l’Ourthe défiler par la vitre, en silence. En souriant. Parce que ça avait été un cauchemar. Mais à la toute fin seulement. Seulement à la fin.

Le blanc est la sagesse. Le rouge est la vie qui fuit. Le vin aussi.

Il lui fallut dix minutes pour reprendre la parole.

-Je viens de trouver une idée pour les vacances.

-Ah bon ?

-J’irais bien dans le beaujolais. Il paraît que l’arrière-pays vaut le détour. Et qu’il y a un vigneron… Jean-Marc Burgaud. Je lui achèterais bien une caisse de Morgon. De Côte du Py.

Comme Sandrine souriait, Cécile se mit à tapoter des doigts la tablette, sur le rythme d’une chanson qu’elle n’avait plus entendu depuis longtemps, une chanson qui ne lui avait jamais plu, une chanson qui la choquait un peu. Autrefois. Dans une autre vie.

Il faudrait qu’elle passe à la médiathèque parce que l’air et les paroles l’obsédaient. Alors même qu’elle n’aurait pas du les connaitre ces paroles. Elles pourraient l’écouter vendredi prochain, avant d’aller à la soirée. Elles passeraient un moment à deux, en buvant un verre de Morgon. Et en écoutant cette chanson qui disait…

 

Please allow me to introduce myself

I'm a man of wealth and taste

I've been around for a long, long year

Stole many a man's soul and faith

FIN

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15 novembre 2010 1 15 /11 /novembre /2010 08:12

 

303 (2) 

 

 

Les épisodes 1 à 4 : les liens.

 

 

La Chapelle, Episode 5.

 

-Du calme, du calme. Rex, tu vas arrêter oui !

Puis

-Capitaine, il y en a une des deux qui se réveille !

-Tant mieux. Mais celle-ci à l’air de se porter bien aussi. Elle… elle dort, je crois. Bon sang, tu le crois ça Georges ?

-Je ne crois plus rien. J’en ai déjà vu, mais là, je dois dire que c’est du lourd. Répondit un homme sur la droite de Sandrine. Il continua.

-Mais tu me dois une frite. Je t’avais dis qu’on les retrouverait ici !

 

Cécile sentit d’abord le froid. Un froid glacé, plus du tout cette douleur qui partait de son sexe et irradiait ses entrailles, mais le froid sur sa peau, dans ses narines. Puis elle ouvrit les yeux.

L’homme fit asseoir son chien, ce Rex à la langue amicale mais malodorante et l’aida à s’asseoir.

-Attendez, mademoiselle, je dois juste vous emballer et une civière va arriver… Cécile se laissait manipuler comme une poupée. Elle vit passer un brancard, avec dessus Sandrine, évanouie, emballée dans une couverture de survie… argentée.

(comme ses yeux).

Les hommes et les chiens avançaient en mode ralenti, emmitouflés dans d’énormes parkas, des uniformes de pompiers. Ils produisaient de gros nuages en respirant. Un gros type avait sa barbe couverte de givre. Cécile était assise à même la neige, à même le sol, au milieu de ce qui avait peut-être été une clairière fort longtemps auparavant mais qui maintenant était encombré de chênes et de frênes tordus. A sa droite, s’élevaient les ruines d’une petite chapelle sans toit au milieu d’un cercle de six hêtres antédiluviens, dont les troncs et les branches traduisaient les tourments. Tout autour d’elle s’étendait un champ de pierres et de bouts de murs qui dépassaient comme des chicots épars du sol, de la végétation ancienne et sauvage et de la couche invraisemblable de neige. Elle-même se retrouvait maintenant appuyée sur un haut morceau de maçonnerie qui semblait être le reste d’un âtre et d’un départ de cheminée. Cécile vit encore qu’il neigeait. Elle entendit encore Georges s’étonner du fait que malgré la neige qui n’avait cessé de tomber depuis minuit, les deux filles étaient recouvertes par quelques flocons à peine… Puis on lui coupa l’électricité pour cause de surchauffe. C’était tout aussi bien.

Les lits de la clinique Reine Astrid de Malmédy étaient confortables. Sandrine n’avait pas prononcé un mot depuis son réveil. Cécile pas beaucoup plus. Elle voulait savoir si leurs parents avaient été prévenus. Oui, ils l’étaient et étaient rassurés. Ils prenaient le premier avion disponible mais ne seraient pas de retour avant le lendemain soir. Elle voulut savoir quand elles pourraient rentrer chez elles. Le lendemain en début d’après-midi si les examens étaient bons. Mais il semblait qu’ils le soient. Elle avait raconté leur aventure par bribes, en raccourci, terminant juste avant l’épisode des lumières dans la forêt. A partir de là de toute façon, c’était le brouillard d’un rêve. Un rêve honteux. Un rêve tout bonnement dégueulasse. Un cauchemar à oublier et à ne surtout jamais raconter, surtout à Sandrine.

(La douceur de ses lèvres pourtant…).

Elles avaient été auscultées, examinées, tripotées dans tous les sens. Et un repas ? Nous n’avons pas très faim merci. Un bon petit Baxter alors. Ca ne peut pas faire de mal.

Et maintenant, le Docteur Georges Jeandebien se tenait devant elles, appuyé sur le lavabo, tapotant un classeur, l’air ennuyé et dubitatif.

-Quels sont vos derniers souvenirs mesdemoiselles ?

Ce fut Cécile qui parla en premier. Avec un naturel confondant.

-Je vous l’ai déjà dit. Nous avons du quitter le sentier à un moment. On a rampé dans la forêt. Et puis c’est le flou. Puis ça été un chien qui me léchait la figure. Pourquoi vous insistez ? On vous l’a déjà dit, à vous, aux pompiers, et même à un inspecteur de je sais pas quoi.

-La police judiciaire. Vous devez bien comprendre mesdemoiselles que vous êtes des miraculées. Pour des croyantes comme vous l’êtes, comme on me l’a dit, cela coule peut-être de source mais pas pour moi. J’ai cinquante ans et je n’ai jamais vu ça. Bon… Vous savez la température qu’il a fait cette nuit ? Dix-huit degré… mais SOUS zéro. Et il a neigé quasi toute la nuit. Et on vous retrouve ce matin, non pas gelées et ensevelies mais… tièdes ! Comme si vous sortiez de votre lit…

(ou du coin d’un bon feu)

-Enfin tièdes… à peine une légère hypothermie avec 35,5. Tièdes et à peine couvertes d’une fine pellicule de neige. Alors comprenez qu’on s’inquiète… Nous avons plutôt l’impression que vous avez passé la nuit ailleurs, à l’abri, au chaud… et qu’on vous a transportées là au matin, avant que nous arrivions.

Sandrine reprit alors, de son bon vieux ton accusateur de gardienne de la foi.

-Et puis quoi encore ? Qu’est-ce que vous voulez qu’on vous dise. Qu’on s’est faites enlever ? Par des terroristes ? Ou bien vous pensez qu’on vous fait une bonne petite farce ? Tout ce dont je me souviens, c’est ce que vous a déjà raconté Cécile. On a marché dans la tempête. Je priais. Je priais. J’étais sûre que j’allais mourir. Et puis plus rien. Je me souviens vaguement d’une chapelle.

-Une chapelle oui. La chapelle Saint Roch aux Brigands Fayis. Là où on vous a retrouvées. Mais vous savez jusqu’à quelle heure vous avez marché ?

-Bien sûr, continua Sandrine, je regardais ma montre toutes les cinq minutes… Bien sûr que non. Je vous dis que tout est flou !

Cécile, elle, droite comme un i dans son lit, gardait le silence. Concentrée sur ces mots qui valsaient dans sa tête. Des mots qu’elle ne pouvait pas connaître mais qu’elle avait entendu. Brigands Fayis.

-Ecoutez mesdemoiselles. Je… vous êtes en état de choc. Mais bon. Dans l’ensemble vos constantes sont bonnes. On va attendre les résultats de vos prises de sang.

-Prise de sang ?

-Hum… pour voir si.. on vous a fait ingérer quelque chose. Des drogues…

-Mais vous pensez vraiment que…

-Docteur, reprit Cécile, blême maintenant, vous… ces drogues… vous pensez à un truc pour…

-Un truc pour abuser d’une jeune fille sans qu’elle s’en souvienne, ou juste à peine dans ses rêves. Vous voyez le genre ?

-Non ! Non ! Vous divaguez ! Sandrine se contenait de manière héroïque mais peut-être n’avait-elle pas rêvé elle. Cécile fut sur le point de tout raconter mais le Docteur sourit.

-Je ne veux pas vous alarmez. Nous vous avons également pratiqué un examen gynécologique. Il n’y a rien. Aucune trace. Pas de coups. Pas de marques. Rien.

Mais bon… ce ne sera pas la première fois que la chapelle Saint-Roch fera dans le mystérieux ! Ca devient même une tradition.

-C’est-à-dire ? demanda Cécile partagée entre le fait de se lever pour le gifler, à cause de l’examen intime, et le fait de lui sauter au cou. Rien. Rien qu’un rêve malsain.

-La chapelle Saint Roch est très connue dans la région. Je connais peu de gars parmi mes bons et solides patients ardennais qui oseraient s’y attarder à la tombée du jour.

-Pourquoi ?

-C’est un peu long à expliquer.

-Vous en avez trop dit docteur… ou pas assez.

-Mouais… allez, cinq minutes alors, en résumé. Et parce que l’histoire locale c’est mon violon d’Ingres.

Finalement, le récit prit plus de cinq minutes. Mais on était dimanche en fin d’après-midi, à la fin de son service et une fois parti, on ne pouvait plus l’arrêter ce bon toubib.

En fait, le lieu dit des Brigands Fayis croulait sous l’histoire et les légendes. Des fouilles archéologiques assez mal faites au début du 20 ème siècle avaient mis à jour des indices d’une occupation cultuelle celte puis romaine. De cette ancienne tradition, une source dédiée à saint Roch avait gardé la réputation de guérir la rage. Puis au Moyen Âge, le lieu, situé à un carrefour important vers Liège, l’Allemagne, le Brabant et que sais-je encore, situé aussi en limite de plusieurs principautés féodales, devint un lieu de justice. Le Duc de Limbourg, qui possédait ces terres, rendait la Haute Justice sous les six hêtres (des fayis en wallon) et pendait haut et court les mécréants aux arbres. Pour loger ce petit monde, on construisit une auberge, puis une chapelle dédiée à Saint Roch, au milieu de ce qui étaient alors des champs et des prés. Il y eu même pendant des décennies un marché aux bestiaux qui se tint là. Puis le Moyen-Âge avançant, les lieux tombèrent dans l’oubli, revinrent à la forêt. Jusqu’au moment des guerres de religion. Les principautés wallonnes eurent leur lot de persécutions religieuses et le sinistre Duc d’Albe y eut son mot à dire, l’inquisition et les bûchers d’hérétiques aussi. Dans cette période de remises en question de la foi, un abbé de Sart, nommé Gaspard Lequeu, entouré de paroissiens des alentours prit l’habitude de dire la messe dans la chapelle Saint Roch. Sorti d’on ne sait où, un prétendu seigneur Mathieu de Lontzen se joint au groupe et fit restaurer à ses frais chapelle et auberge. Prétendu, parce qu’on ne trouve aucune trace historique du personnage hormis… dans les minutes du procès pour hérésie et abjuration de la foi qu’eut à subir le groupe en 1570. A cette époque, où il suffisait de dire sorcière si on n’aimait pas sa voisine, les rassemblements forestiers du groupe déchainèrent vite la rumeur : orgies, messes sataniques, sacrifices humains. La totale. Et les trublions furent arrêtés, questionnés, n’avouèrent jamais mais furent réduits en cendre devant le groupe de hêtres. En tout 6 personnes, dont le curé de Sart, sa bonne originaire de Solwaster, un docteur de Xhoffraix aussi. Mais pas Mathieu de Lontzen, qui avait fui on ne sait où, juste au bon moment. Depuis le lieu avait une réputation inquiétante. La légende y situait des disparitions, des apparitions de chasses fantastiques, de lumières spectrales. Rien n’était étayé bien sûr.

Sauf pour ce qui c’était passé 10 ans auparavant, évidemment. Un jeune couple Christophe et Laetitia Delhez s’étaient, eux-aussi aventurés sur les sentiers un jour de tempête, en janvier 1999. Mais ils avaient eu moins de chance. On avait retrouvé leurs corps près de la chapelle… deux jours après le dégel. Le docteur avait participé aux recherches. Ils avaient à peine 25 ans. Ils étaient enlacés, souriants, morts heureux semble-t-il. Le Docteur en avait perdu le sommeil pendant un bon mois. Alors le matin, vers 6 heures, quand le capitaine des pompiers de Malmédy lui téléphona, le ton morne et grave et lui avait dit :

-C’est l’anniversaire des deux gosses Georges, on a une nouvelle disparition.

Le capitaine des pompiers, Léon Lallemand était un vieil ami mais il était arrivé après qu’on ait retrouvé les deux gosses. Sans réfléchir, le Docteur lui répondit.

-Vous avez déjà fouillé du côté de la Chapelle des brigands Fayis ?

-Tu rigoles ? J’ai une centaine de types qui se gèlent les couilles depuis minuit autour de Malmédy, de Stavelot et du signal de Botrange. Mais on peut pas faire de miracle Georges, on n’a pas encore été jusqu’à la chapelle. C’est au milieu de nulle part et sur le plateau. Elles faisait le GR, elles ont du suivre les vallées après Reinhardstein…

-Envoie une équipe je te dis. Je m’habille et je vous rejoins… disons à Solwaster. On va grimper sur le plateau par le rocher de Bilstain.

-Georges… c’est pas du tout dans la bonne direction par rapport à leur itinéraire probable.

-Et tu as des résultats sur leur itinéraire probable ? Non. Donc fais moi confiance Léon. Et tu me paies une frite si on les retrouve OK ?

Et Léon avait pris dix hommes. Et le dimanche après-midi, c’est le docteur qu’il avait pris, à part, dans un couloir de la clinique de Malmédy.

-On n’en reparle plus jamais, d’accord ? Je ne sais pas le comment et le pourquoi de tes intuitions, et je m’en fous. On les a retrouvées, c’est le principal.

Voilà c’était tout. C’était beaucoup. Trop pour les deux filles. Parce qu’un rêve, ça allait, mais un rêve surnaturel… Parce qu’il s’agissait bien de ça non ? Mais le Docteur partit. Les deux filles n’abordèrent plus le sujet. Mais le sujet, il restait là évidemment, lourd, encombrant, insurmontable. Alors il y eut des pleurs, des engueulades, des mouchoirs de sorties. Les mouchoirs, pour Sandrine essentiellement, sur laquelle Cécile s’était déchainée. Psychorigide c’est un état de fait mais enfoirée bouchée et bornée ça devient des insultes. Dans la soirée, il y eut encore les résultats d’analyses, muets pour la plupart. Pour la plupart.

Et puis il resta du silence et de la gêne, le pire peut-être pour des gens qui s’aiment…

L'épilogue de l'histoire mercredi ! 

 

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13 novembre 2010 6 13 /11 /novembre /2010 14:34

 

Allée saule têtard rue de Prâle

 

 

 

La liste des épisodes, pour les lire dans l'ordre

 

 

La Chapelle : Episode 4.

 

 

Les deux filles restèrent interdites un moment, puis Sandrine regarda par la fenêtre. La neige tombait toujours.

-Tu ne crois pas qu’il faudrait partir ? Ces gens sont… c’est une secte je crois.

Cécile fut sur le point de la suivre. Et puis tout à coup, la fatigue, ou autre chose aidant, tout sortit d’un coup.

-Une secte… Sandrine, je t’aime beaucoup… trop à mon avis. Mais là, tu … tu me fais chier. Cécile contint un sourire. L’allusion vulgaire avait frappé direct, comme toujours, c’était si facile avec Sandrine. Dehors, c’est l’enfer. Et j’ai suffisamment bavé comme ça aujourd’hui. Toi et tes principes… tes… putains de préjugés… Tu la ramenais quand même moins quand on était dehors hein ? Si je ne t’avais pas trainé, tu serais encore à bouffer des flocons sous un sapin… Et ce qu’a dit cette femme… Dieu…c’est, c’est ce que j’ai au fond de moi depuis… Oh et puis reste ici si tu veux, moi j’ai envie de goûter du civet.

Cécile sortit sans se retourner, allant retrouver le civet mais aussi, sans trop le laisser remonter en surface, espérant ne pas être placée trop loin d’Yeux-d’argent.

En entrant dans la pièce principale où tout le monde se pressait déjà autour de la grande tablée de chêne, fut-elle seulement surprise de voir qu’une des deux places encore libres, la sienne incontestablement, jouxtait celle de Mathieu ? A peine en fait.

L’odeur qui montait maintenant de la pièce, alors que Roseline aidée de deux adolescentes que Cécile n’avait qu’aperçu jusqu’ici, installait les plats contenant non pas un mais cinq civets fumants, parlait directement à son estomac, d’une manière quasi inédite. Cécile était prête à dévorer un ours au besoin.

-Votre amie ne nous rejoint pas, s’enquit Mathieu, tandis qu’elle prenait place à ses côtés (arrête ma fille, tu ne vas pas avoir un frisson simplement parce que tu te retrouves à côté de Mister Gros cou 2009 ?).

-Je n’en sais rien. On verra bien… enfin je suppose. Laissez tomber.

On avait déjà versé de l’eau dans son verre. Amèrement, elle découvrit qu’elle le regrettait et quelle aurait bien goûté le vin rouge qui circulait autour de la table, emplissant les jolis verres à pied d’une boisson aux tons veloutés dans la lumière chaude des chandeliers. Pas parce qu’elle en avait envie mais juste pour faire bisquer Sandrine. Sandrine et ses idées arrêtées. Sandrine et sa force de persuasion. Sandrine et sa tendresse dans les mauvais moments. Sandrine et sa foutue randonnée qui les avaient menées toutes deux ici, dans cet endroit où elle se tenait précisément maintenant, si inconfortable, en équilibre instable sur une corde qui séparait la volupté d’une sourde envie de partir en courant.

Mathieu leva son verre, alors que les deux jeunes filles finissaient de distribuer les tranches de civets , nappés d’une sauce brune épaisse pleine de myrtilles, accompagnés de champignons que Cécile reconnut pour être des pieds bleus, son champignon préféré, comme par hasard. Elle se rendit compte qu’elle était limite en train de baver. Le jeune homme interrompit son geste. Sandrine traversa la pièce, raide comme la justice et rejoint sa place entre Roseline et le curé, à l’opposé de Cécile. Les deux filles échangèrent un regard et Sandrine lui tira une langue discrète. Mathieu continua.

-Mes amis… nous avons assez attendu. A nous. A l’amour. A l’amitié. A nos invitées. A toutes les biches à la cuisse tendre ! Santé.

Buvant une gorgée, il mira son verre, le renifla en fermant les yeux. Une attitude que Cécile trouvait ridicule.

-Vous ne savez pas ce que vous ratez.

-Ce n’est jamais que du vin.

-Du vin ? C’est un morgon. Un 2005 en plus et une côte du Py. Que du vin ? Celui qui n’apprécie pas un tel breuvage, un tel nectar, ne sait pas vivre.

-Mouais, ça fait un peu l’aile ou la cuisse non ?

-Sentez.

-Non merci.

-Sentez… ouvrez votre esprit borné jolie jeune fille. Vous n’allez pas sombrer dans les affres de l’alcoolisme pour un coup de nez ! Jamais au grand jamais je ne vous forcerais à boire, pas plus qu’à autre chose d’ailleurs. Le libre arbitre doit rester souverain. Je n’y déroge jamais !

-Quel est-votre âge ?

-Pourquoi ?

-Je ne sais pas. Votre manière de parler et de donner des leçons me font rire… Alors que vous ne devez pas avoir plus de 20 ans, je me trompe ?

-Si je vous fais rire, c’est déjà ça. Mais détrompez vous, je suis dans les parages depuis… très très longtemps ! J’approche les 26 ans ! Sentez, je vous dis !

-Têtu comme un âne. Allez passez-le moi votre « nectar » que je sente son odeur de vinasse !

-Insultez ainsi la Côte du Py… Vous mériteriez que je vous jette à la neige

Rendant un sourire complice au garçon, et un clin d’œil provocateur à Sandrine qui malgré sa conversation avec le curé, lui jetait des regards en coin pleins de désapprobation mais aussi, Cécile en aurait juré, de jalousie, elle porta le verre à son nez.

Elle aurait pu envoyer paître Mathieu, rien que pour le faire bisquer et pour tenter de se convaincre, que non, ce garçon ne lui donnait pas des frissons totalement inconvenants, ma chère belle-mère, de l’échine jusque dans le creux du genou. Mais par Dieu, les anges et toute la kyrielle de saints qui se baladaient dans les nuages, elle y porta le nez à ce verre de … comment avait-il dit ? Morgant ? Morbon ? Morgon, oui une côte du Py, ma bonne Solange. Prétentieux et ridicule ! Une vinasse qui sentait la vinasse. Et les buveurs de pinard s’en sortaient par la petite porte de l’hédonisme et de la gastronomie pour excuser leur penchant à picoler. Mais elle y porta le nez… de son plein gré.

-Alors ?

-Alors c’est du vin !

-Irrécupérable, ma jolie. Appliquez-vous. Oubliez l’alcool. Le vin, c’est avant tout une terre, du soleil, le travail d’un artisan. Ici un des meilleurs du Beaujolais en l’occurrence. Jean-Marc Burgaud. Une connaissance qui m’est chère. Alors, sentez, avec vos tripes et vos sens, pas avec vos idées préconçues. Cécile lui sourit à nouveau et porta de nouveau le verre à son nez. Parce qu’effectivement, ça ne sentait pas le « pinard » mais…

Bien rouges, brillantes et fraiches : des fraises des bois, de la confiture de griotte dans la cocotte de sa grand-mère. Un troisième coup de nez la transporta bien au-delà. Un territoire où les mots ne comptaient plus parce qu’ils étaient insuffisants. Une contrée de l’enfance, de bois tapissés de mousse douce et épaisse, baignée par des sources fraiches, de fourrés pleins de myrtilles énormes et juteuses, de maisons aux cuisines meublées d’armoires en vieux bois ciré, emplies de pots de terre cuite débordant d’épices douces. Un pays où le mot d’ordre était sensualité. Dans ce nez, il y avait ce que Cécile cherchait dans les forêts depuis des années : un soupir d’aise en s’asseyant dans l’endroit idéal, un endroit où on pouvait rester comme ça , contemplatif et apaisé, heureux, pour les siècles des siècles, amen. Elle regarda Mathieu avec un sourire dans les yeux susceptible d’accélérer deux fois le réchauffement climatique et elle porta le verre à ses lèvres. Sans aucune autre toile de fond imaginaire que ce petit bois moussu. Le vin, avec sa sensualité crue, l’avait happée.

Elle ne mourut pas foudroyée par la colère divine. Elle ne devint jamais alcoolique. Elle eut par la suite des motifs de regrets et de remords bien plus conflictuels.

Mais Dieu que ce liquide était doux. Les parfums suggérés par le nez explosaient en bouche, au milieu d’une suavité... L’impression de sucer un bout de soie. Et cette fois des images de soirées de lecture avec ses parents au coin du feu, de promenades brumeuses au mois de novembre, de levers de soleil de septembre.

-Alors, vous sentez des cornes qui vous poussent sur le front Cécile ?

-Des cornes ?

-Ben oui, celles du démon qui sommeille derrière chaque goutte de vin. Si vous comptiez aller ailleurs qu’en Enfer, c’est raté !

Cécile éclata de rire, alors que quelques minutes avant elle n’aurait que ricaner jaune aux blagounettes de Mathieu de Lontzen. Du reste, son rire ne fut remarqué de personne, même pas de Sandrine qui semblait en grande conversation, gestes à l’appui avec le prêtre et les deux adolescentes. D’ailleurs la salle s’animait de plus en plus. Les civets diminuaient dans les plats et les bouteilles se vidaient prestement. Un ravitaillement discret mais permanent était assuré par Roseline et les deux adolescentes qui s’extrayaient parfois de l’interminable discours du curé et de Sandrine.

Et le civet mes petits amis… La viande tendre et goûteuse offrait un festival de saveurs contradictoires et pourtant harmonieusement agencées. Et lorsque le vin s’y joignait, Cécile ne pouvait s’empêcher de pousser de petits grognements de plaisir, tant l’agencement des deux frisait la perfection. C’était tout à fait comme si le civet avait magnifié le vin et vice-versa. Cécile, qui n’était pas une gastronome jusqu’à ce jour, n’avait jamais soupçonné qu’on pouvait éprouver autant de plaisir en mangeant et en buvant. Comment avait-elle pu passer en si peu de temps et sans aucun problème de conscience d’une attitude de rejet et de mépris à une telle extase ? Elle se poserait la question plus tard mais pas maintenant. Son verre fut bientôt vide.

-Je vous sers un peu d’eau ? lui demanda Mathieu. Cécile crut qu’il la moquait encore, mais non, apparemment on ne lisait que la sincérité dans ses yeux. Ses magnifiques yeux gris, des yeux qui eux aussi lui intimaient des souvenirs de bois moussus, de branches mortes enchevêtrées, de vieilles forêts perdues et abandonnées des hommes.

-Vous plaisantez ? Vous m’avez converti à votre « nectar ».

-Oui, mais si vous n’avez pas l’habitude de boire… il faudrait peut-être vous modérer. Je n’ai pas envie de vous retrouver collée aux toilettes demain, à discuter avec la porcelaine.

-Comme c’est élégant ! Allez, encore un verre pour finir mon civet (sa troisième portion de civet). Et puis c’est tout.

Sans aucune autre forme de procès. Sans remords. Sans un regard pour Sandrine. Et Mathieu la resservit. Il la resservit.

Mais Cécile, plus encore que par le vin maintenant, était aspirée par la conversation de Mathieu. Ce garçon, travestissait sa fragilité sous la prétention, la finesse d’esprit par l’humour. C’était un tourbillon et Cécile s’y engouffrait joyeusement à présent. Elle remarquait, dans la périphérie de son tête à tête avec ce garçon, que la soirée s’animait. Le jeune couple (la fille s’appelait peut-être Laetitia ou quelque chose comme ça) s’embrassait généreusement. Il sembla même, fugacement, à Cécile que Roseline et une des deux ados étaient penchées bizarrement l’une sur l’autre. Mais à présent, il était trop tard pour s’alarmer. Seules comptaient la conversation de Mathieu et son verre de Morgon qui ne désemplissait pas. Pourtant, Cécile se sentait bien. Elle avait imaginé que l’ébriété signifiait le brouillard, les idées molles et le corps qui titubait. Là, elle se sentait alerte, vive voire à vif. Elle eut quand même encore la bienséance d’opposer, pour la forme, une objection à Mathieu, qui se trouvait de plus en plus proche d’elle, de son corps et Seigneur… de sa bouche.

-Je crois, vilain garçon , que vous essayez de me soûler. Je devrais aller me coucher ou demain j’aurai des remords.

-Les remords sont supérieurs aux regrets ma chère. Mais je ne suis pas de ce genre. Vous vous méprenez sur mes intentions. Ou bien vous travestissez vos désirs en réalités. Et c’est une très bonne chose de suivre ses désirs. Je vais aller en cuisine pour assurer le ravitaillement en vin car Roseline me semble très occupée. Elle mérite un peu de répit la pauvre.

Il se leva. Il fit deux pas. Il se retourna de façon un peu théâtrale. Mais quand Cécile croisa son regard, elle crut voir… Quoi ? Tristesse ? Mort ? Solitude sans nom ? Quelque chose d’intimement déplaisant. Il se pencha vers elle et murmura.

-Croyez moi Cécile, le bonheur est à cueillir quand il éclot, pas quand il se fane. Regardez nos amis ici. La soirée avance et vous allez voir des choses merveilleuses petite fille. Vous allez ce soir vivre des moments inoubliables, des instants de métamorphose. Et puis il ne vous restera que des souvenirs beaux et tristes à la fois. Peut-être un peu effrayants à la fin, mais à la fin seulement. Parce que quand on plonge en eaux profondes, quand on va réellement au bout des choses on effleure l’eau, on traverse la surface, la couche superficielle et puis seulement les eaux de vérité, Cécile.

-je ne comprends rien à ce que vous dites. Ca me parait un peu solennel non ?

-Ecoutez moi bien et ne retenez que ça si vous le voulez. Vivez pleinement vos jours aujourd’hui, sinon vous finirez, comme mes amis, par devoir jouer des artifices de la nuit.

Cécile avait bien une part d’elle-même qui lançait encore des appels à l’aide, celle qui d’habitude était au commandes et étouffait toujours l’autre côté, le côté que le Morgon, l’ambiance ou des yeux gris étranges avaient précisément réveillé et mis au poste de pilotage. Mais cette part là fit définitivement silence quand Mathieu s’éclipsa et que miraculeusement, Sandrine se retrouva assise près d’elle. Cécile ressentit une bouffée de honte, pensa à Mathieu, à son désir de Mathieu, qui devenait presque douloureux et elle pensa aussi à son verre de vin, à moitié vide qui trônait devant elle comme preuve à conviction irréfutable. Sandrine porta alors son propre verre de rouge aux lèvres, en adressant un sourire, que Cécile pouvait qualifier sans doute possible de sourire de salope.

-Sandrine… tu… tu bois ?

-Toi aussi.

-Oui mais moi…

-Tu n’as pas un père alcoolo c’est ça ?

-Non c’est pas ça que je veux dire. Ce que je veux dire… Oh et peu importe. Je m’en fous. J’espère que tu sais ce que tu fais et que tu ne va pas te flageller demain et puis pendant dix ans.

-Je ne suis pas saoule. J’en suis toujours à mon premier verre. Mais je pense que je suis ivre : de bonheur, de calme, de joie, de paroles. Je n’avais plus ressenti cela depuis des années. Cécile, je viens de parler pendant une heure ou une semaine, je ne sais pas, avec le prêtre, l’abbé Gaspard et avec deux jeunes filles de 16 ans, Gabrielle et Géraldine, de 16 ans ! Deux filles de 16 ans qui disent des choses d’une profondeur… ces gens là sont merveilleux Cécile, et heureux et gais. Quand je me regarde moi… Je suis désolée Cécile… je suis une emmerdeuse.

-Ben… j’avoue que je ne sais pas quoi te dire là. Je suis sur le cul. Ils t’ont dit quoi les mystiques, là ? Que tu allais rencontrer le bon Dieu demain matin ? Ou bien qu’il était au fond du verre de vin ?

-Ce n’est pas loin de ça Cécile. L’abbé… il a lu en moi. Il m’a dit des choses sur moi que je savais sans les reconnaitre, tu comprends ?

-Bof, pas trop. Tu m’as l’air quand même un peu planante. Moi aussi d’ailleurs.

-Le vin n’est pas seulement de l’alcool Cécile… c’est de l’amour, c’est un miracle : du jus de fruit issu de la terre, transformé par des mains humaines pour donner… l’éveil des perceptions !

-Ah oui quand même…

-Moque toi ! Tu sais quoi ? Je suis mal dans ma peau. Pourtant, je ne dois pas avoir peur du plaisir, du désir, que ce soit avec une bouteille de vin ou… autre chose. Résister à ce qu’on est, c’est là le problème. Un jour ou l’autre, ça te rattrape et tu chutes : dans l’alcool, le tabac, la drogue ou pire, des drogues légales et prescrites dans un cabinet…

-Certes. Mais je ne pige rien. J’ai une envie folle de rire et de chanter. Pas de philosopher à pas cher.

-Tu as raison. Ca aussi Géraldine me l’a dit. Il y a un temps pour tout.

Sandrine posa son verre puis planta ses yeux dans ceux de son amie. La petite voix au fond de Cécile souffla dans une conque. En vain. La roue tournait maintenant. Des fois, vous avez le choix mais ce doit être rapide. C’est le blanc ou le noir, et ça doit tomber en une fraction de seconde. Mais des fois, il fait tellement sombre, qu’on ne distingue rien et il faut sauter quand même.

Les lèvres de son amie étaient si douces… si douces et ses yeux si profonds.

Un verre de Morgon.

De ce moment, la chute ou la remontée dans les eaux chaudes de la surface s’accéléra. Le fond avait été atteint. Et oui, ce fut un rêve. Un beau rêve. Presque jusqu’à la fin. Les rêves se paient. Un petit cauchemar, c’est une obole bien faible.

Sandrine commença à la déshabiller et à couvrir sa peau de baisers : la bouche, le cou, les seins, plus bas, toujours plus bas. Cécile découvrit des rivages à peine imaginés. Ses yeux voyageaient dans la salle, dans les bois. La salle était maintenant le lieu d’une bacchanale, d’un pandémonium de corps entrelacés, imbriqués, mélangés. Comment en était-on venu à une telle orgie en quelques secondes ? Le temps s’écoulait-il encore logiquement ? L’abbé Gaspard oubliait désormais ses vœux de chasteté dans les bras de Roseline. Le jeune couple s’était séparé. Le mari s’affairant auprès du Docteur et Laetitia (si tel était son nom) partageant les deux ados (Géraldine, l’une d’elle était Géraldine) avec un grand homme aux cheveux noirs, sur la table parmi les plats pleins de restes de sauce figée et de verres renversés.

Au-delà, au sein de la forêt, des créatures grouillaient et froufroutaient, feulaient et rugissaient. Des créatures qui n’avaient ni le bon nombres de pattes, ni le minimum syndical de paires d’yeux. Cécile préféra fermer les yeux et se laisser aller au plaisir. Elle sentit un instant la fusion qu’elle ressentait avec Sandrine se brouiller.

Cécile ouvrit les yeux et il fut là. Vue imprenable sur deux puits gris et bleus, tristes et purs, un peu froids aussi. Il la regardait en souriant.

-Vous avez fait votre choix désormais.

Il s’occupa de Sandrine d’abord, fixant Cécile d’un regard de fou, mais rien que ce regard plongé au fond de ses secrets, semblait à Cécile relever de l’acte le plus intime et le plus bestial qui soit. Rien que ses yeux.

Cécile avait lâché prise depuis longtemps. Elle ne sentait plus ni le banc sous elle, ni le sol sous ses pieds. Il n’y avait plus ni haut ni bas, ni paroles ni silences. Elle distingua à peine Sandrine qui s’écroulait sur le sol, peut-être morte, probablement.

Elle sourit et probablement ce sourire, dément, dépassa-t’il les limites de son visage alors que Mathieu s’avançait pour enfin venir à elle, pour enfin… Cécile se rendit compte que sa vue sur la scène prenait un angle grotesque, obscène. Elle comprit qu’elle quittait son corps, qu’elle flottait dans la salle à manger de l’auberge. Pourtant, elle entendait Mathieu. Elle le sentait. Et c’était un délice douloureux à moins que ce ne fut une douleur délicieuse, quelque chose d’inoubliable et de transcendant.

Autre chose, bien au-delà du charnel, du sexe, du plaisir. Quelque chose de froid, de glacé, de triste. Quelque chose de mort depuis bien longtemps. A la fin, avait-il dit, ce serait peut-être un cauchemar, mis à la fin seulement. Cécile flottait et voyait ce ridicule et répugnant opéra bouffe de corps enchevêtrés et en même temps elle plongeait directement son regard au fond des yeux d’argent… des yeux dont la pupille maintenant se réduisait à une fente horizontale. Et ce n’était pas tout. Un peu cauchemardesque mais juste sur la fin… Avant de passer de l’autre côté.

Mathieu avait maintenant des cornes. Il n’avait plus de jambes mais des pattes velues et des sabots. Et c’était si glacé. Si insupportable. Tellement bon. La fin approchait. Tout. De plus en plus lointain, étouffé, brumeux, lumineux et sombre, ombres et lumières.

L’éther.

Heureusement. Par Dieu heureusement.

A la fin, un petit cauchemar. La créature qui lui faisait l’amour encore et encore et encore, poussant douleur et plaisir si loin, si.. trop… Le curé dont la soutane mitée était couverte de mousse et de lichens, tombant en lambeaux, laissant voir un corps décharné et purulent. Géraldine, aux membres tordus en des angles improbables, des chicots jaunâtres garnissant ses gencives pourries, le docteur, la moitié du crâne à vif et un œil pendant de son orbite, et Roseline, la gentille Roseline, corps flasque et vomissant vers et carabes. Une congrégation de cadavres jouissant des artifices de la nuit. Et dans un ultime hurlement de silence avant la fin, Cécile vit la créature velue sortir une langue énorme, grise et glaireuse et la lui passer sur le visage, avant mon Dieu, de l’enfoncer… et le cri, le cri enfin, put éclater, sortir de l’inaudible, tout emplir… Mais la langue mon Dieu la langue…

 

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11 novembre 2010 4 11 /11 /novembre /2010 09:12

 

Le grand nord

Episode 1

 

Episode 2 

 

La Chapelle : Episode 3

 

Le prêtre s’arrêta sur le perron de la chapelle et releva la tête. Cécile ressenti un bref moment d’angoisse mais le curé leur fit signe de la main. Elle vit alors que si les gens portaient de chaudes capes ou d’épaisses vestes de cuir cirées, c’étaient bien des chapeaux et des bonnets "normaux" qui protégeaient leurs idées du froid. Si on ne voyait pas leurs jambes, c’est parce qu’ils marchaient dans une tranchée tracée dans la neige entre la chapelle et l’autre bâtiment. Tout le groupe s’était arrêté et les observait. Le curé quitta la tranchée pour la neige franche et vint à leur rencontre, accompagné par deux hommes, un jeune de haute stature et un monsieur d’âge plus mûr.

-Mais mes filles qu’est-ce…

-Mon père, coupa Cécile, vous ne pouvez pas savoir… Vous ne pouvez pas… Nous sommes gelées… Perdues dans la tempête… On devrait… Bévercé.. prévenir… Pourrions nous… Un abri. Cécile surprise elle-même de son charabia se tut. Le curé la prit par les épaules.

-Calmez-vous mon enfant, je crois qu’un bon feu vous sera utile. Vous nous raconterez vos aventures à l’intérieur, devant un bon bol de soupe. Trop froid pour rester à papoter dehors.

-Vous avez raison l’abbé reprit le jeune homme, nos nez vont nous chuter dans les souliers !

Enfin soutenues par des gens, des inconnus mais des gens, les deux filles purent rejoindre la chaleur et la lumière. Sandrine s’écroula. Cécile s’affala. Le prêtre agit vite et efficacement, donnant les ordres et les consignes nécessaires. Dix minutes après leur entrée fracassante, les deux randonneuses téméraires étaient vautrées sous d’épaisses couvertures, devant une flambée digne d’une soirée de chasse, un bol fumant de soupe aux potirons entre les mains, soupe apportée par une dame qui devait frôler la cinquantaine et que Cécile crut d’abord habillée à la mode d’un siècle révolu depuis longtemps mais qui en fait portait un grand tablier bleu, une petite replète, aux joues carminées de fils de bonne chère. Elles grelottaient encore, stupidement, aussi automatiquement qu’une huître qui frémit sous un zeste de citron.

Une belle femme blonde d’une quarantaine d’année, dont on devinait le petit de et l’aisance financière, rien qu’aux commissures de ses lèvres, voulait les presser de questions.

Le prêtre l’admonesta.

-Solange ! Laissez ces filles se reprendre. Laissez à la soupe le temps de faire son effet.

-Et puis, Solange, reprit le grand jeune homme : allez donc faire quelques kilomètres dans la neige, vous aurez réponse à toutes vos interrogations.

Quelques personnes s’esclaffèrent et un silence complice flotta quelques secondes.

Cécile observait ces vieux amis qui semblaient se côtoyer depuis une éternité, une bonne vingtaine de personnes de tous âges, de l’adolescence à la retraite bien consommée. Son regard traina plus qu’elle ne l’aurait voulu sur le grand jeune homme. Etrangement, même en y repensant après cette nuit, elle ne parvint jamais à le décrire physiquement. Il semblait beau, bâti comme un de ces sportifs des Universités américaines, au cinéma en tout cas. Paradoxalement elle ne put jamais se rappeler de la couleur de ses cheveux. Seuls ses yeux comptaient. Immenses, de couleur

(lune et argent)

grise…

Yeux-d’argent (quelle bête image pensait Cécile, mais elle s’imposait néanmoins avec une force bovine à son esprit), qui pourtant ne semblait plus faire attention à elles se retrouva tout à coup à leur côté. Sa voix profonde et chaude, plutôt enjôleuse, coupa net les conversations de l’assemblée.

-Je ferais bien les présentations mesdemoiselles, mais je me demande si ce ne serait pas laborieux. La soupe et le feu sont plus à propos non ?

-Ca va mieux maintenant, répondit Cécile alors que Sandrine regardait, béate, son bol, semblant se demander si la brasse était plus appropriée que le crawl pour la traversée.

-Et qu’est-ce qui amène deux jeunes filles au Brigands Fayis par une nuit de Saint Valentin ?

-Leur orgueil. Je crois. Nous voulions rejoindre l’auberge de jeunesse de Bévercé à pied, depuis Eupen. Nous avions une réunion de guides, ce soir. Mais la neige…

-Vous a surpris… Un peu orgueilleux en effet pour de bonnes croyantes. Surtout que vous n’êtes pas du tout en direction de Malmédy, mais plutôt dans celle de Spa. Ce n’est pas étonnant vu le blizzard. Cela dit et sans vous commander, ce n’est pas avec une soupe que vous remonterez la pente . Ca ne vous chasse pas la froidure des tripes un bouillon.

Disant cela, il regardait Sandrine qui semblait toujours amorphe même si moins grise qu’à son arrivée. Il faisait chaud, accueillant et surtout de baveuses senteurs de bonne boustifaille roborative chatouillaient les muqueuses de Cécile.

-Surtout celui de onze heures de Christine, marmonna l’homme grisonnant qui avait avancé à leur rencontre dehors, avec le prêtre et Yeux d’argent (arrêtes avec ça ma fille !), un type que les autres appelaient Docteur.

- Qu’on leur serve plutôt une goutte. Docteur, votre petite eau-de-feu des Vosges là !

- Merci, mais la soupe est très bonne et nous ne buvons jamais d’alcool, reprit Cécile.

- Que voilà de vertueuses jeunes filles ! Vous ferez bien une exception si le Docteur vous le prescrit.

-Non, merci ! Ce n’est pas un crime de ne pas picoler, non, intervint rudement une Sandrine soudain revenue à la vie à la simple mention du mot alcool.

Pour elle, c’était plus qu’un principe, c’était une gravure dans le marbre. Et sa réponse sèche avait mit Yeux-d’argent dans ses petits souliers. Il ne souriait plus.

Cécile l’observait. Elle jura qu’il enrageait et qu’il avait du mal à se contenir. Ca ne dura qu’une fraction de seconde puis son sourire de "fouteu d’jins" comme aurait dit sa Grand-Mère tournaisienne revint. Comme Cécile pensait de nouveau à ses yeux, il s’agenouilla près d’elle et dit de but en blanc :

-Je ne désire pas vous obligez mesdemoiselles. Libre arbitre, toujours ! Même si je ne comprends guère cet hygiénisme forcené.

-Je m’excuse d’avoir réagi un peu… sèchement, reprit Sandrine, mais… la fatigue. Et puis, ça m’énerve de devoir justifier mes opinions chaque fois qu’il y a une fête. Je ne bois pas d’alcool, mes parents non plus. Il nous semble qu’il y a quand même assez d’études qui montrent que la consommation d’alcool est nocive et que…

-Oh là, oh là, on va stopper là voulez-vous ? Yeux-d’argent retrouva son sourire de marchand de tapis. Cécile se disait ça mais en même temps… Elle aurait voulu lui en acheter un de tapis. Elle se sentit rougir, comment pouvait-elle… Comme si Yeux d’argent l’avait entendu penser il se tourna vers elle de but en blanc :

-Je suis Mathieu de Lontzen, homme plein de richesses surprenantes et homme de goût, enfin je l’espère. Je fais moi aussi partie de cette chorale mais j’avoue que c’est surtout pour les bonnes bouteilles qu’on vide après les messes ! Et vous êtes…

Cécile resta interdite pendant un moment devant cette présentation loufoque de grande gueule mais aussi ressentant un titillement plutôt déplacé de son point de vue pour ce petit de, espérant que ce petit con prétentieux ne percevait pas son trouble. Mais bien sûr que si qu’il le percevait. Monsieur de Lontzen était un de ces petits péteux qui se délectaient et provoquaient ce genre de trouble chez les jeunes filles. C’est Sandrine, peu amène, qui reprit le flambeau de la conversation, expliquant leur périple, leur désir de rejoindre Bévercé, insistant bien sur l’aspect veillée de prière de la soirée et "épreuve de la foi" de leur randonnée. Elle termina en sortant son portable de son sac à dos posé à sécher face au feu.

Sans aucun doute, Sandrine avait récupéré ses moyens, l’essentiel en tout cas. Pour Sandrine, les choses étaient claires : boire de l’alcool, de la bière et du vin surtout, était réservé aux faibles, sauf que quand elle était suffisamment remontée, elle disait "baraki". Les mêmes barakis qui ne parlaient de la gent féminine qu’en terme de paires et de chattes, dont l’essentiel de l’activité intellectuelle était tournée vers des troupes de 22 débiles courant après un ballon. Les mêmes barakis qui l’appelaient madame Sainte qui s’touche, ou Sœur Frigidaire.

Bien sûr, l’aspect hygiéniste était un paravent plus en accord avec l’évangile que le simple mépris de ses contemporains. Et en dernière extrémité, c’était tout de même mieux que de se retrancher derrière des principes que d’avouer que son père était un alcoolique, abstinent depuis dix ans, mais un alcoolique qui s’était pissé régulièrement dessus, avant de montrer son système à qui y trouvait à redire, et ce pendant des années. Il n’y avait qu’une chose plus répugnante que la picole pour Sandrine, c’était la cigarette. Et là, pas d’explication lumineuse de simplicité à rechercher dans l’enfance, c’était une aversion. Point. Comme les araignées ou les serpents pour d’autres. Et une chose frappa Cécile alors qu’elle ressassait tout cela, personne ne fumait dans cette assemblée de bons vivants. Ce qui était assez incongru, mais heureux, car tempête ou pas, Cécile était sûre que Sandrine aurait pris ses cliques et ses claques et serait partie sans refermer la porte si l’air avait contenu la moindre particule de fumée tabagique. Sandrine était folle parfois .

-Il est temps d’appeler l’auberge de jeunesse pour leur signaler notre présence. Je vous remercie tous pour votre hospitalité mais on ne va pas vous encombrer longtemps. Ils vont probablement envoyer quelqu’un nous chercher. Enfin j’espère.

-Mademoiselle, je ne veux pas vous inquiétez, intervint le docteur, mais ici, les portables… et puis l’accès… Nous sommes comme qui dirait bloqués jusque demain matin au moins.

Sandrine, le regardant come s’il débarquait de Pluton, composa le numéro dans un genre cause toujours tu m’intéresses.

-Les portables ne passent déjà pas bien en temps normal alors avec la tempête… reprit de Lontzen

Sandrine n’obtint même pas de tonalité, pas même un grésillement. Cécile voyait l’expression de son visage qui se renfrognait. Elle même commençait à revoir le bout du nez de Miss panique. Rester ici, avec des inconnus pour lesquels elles commençaient à ressentir un étrange sentiment de sympathie et de méfiance sans pouvoir appeler personne, et ce, pendant combien d’heures encore ? D’abord, il y avait eu cette vision dérangeante de gens surgis d’un passé lointain flottant comme des spectres sur la neige. Puis il y avait cet endroit, en plein milieu des bois, même pas au bout d’un village ou d’un hameau. Enfin, il y avait le fait qu’aucun véhicule n’était visible dehors. Aucun convive ne téléphonait. C’est comme si la tempête les avait enfermés dans une bulle. Une bulle où il n’y avait aucun moyen qu’on les entende. Appeler au secours par exemple.

Une fois de plus Mathieu de Lontzen intervint fort à propos, comme si Cécile avait pensé à voix haute.

(De bonnes croyantes… il nous a décrites comme de bonnes croyantes avant même que nous ayons dit un mot…)

-Et pas de fixe non plus à l’auberge mesdemoiselles. Et comble de malchance, la neige a recommencé à chuter dru. Vous voici coincées avec nous à l’auberge jusqu’à demain. Obligées, je le crains, de partager la pitance d’une bande de mécréants assez stupides pour se ruiner la santé avec de l’alcool, et pire… du vin ! Mais n’oubliez pas non plus que nous sommes une chorale dédiée à Saint Roch et qu’un prêtre est parmi nous. Vous ne devriez donc courir aucun risque.

Mathieu de Lontzen était du genre fortiche quant à ce qui était d’utiliser sa voix. Cécile ne savait pas trop comment il avait fait, ni si c’était son intonation, son visage ou les mots eux-mêmes, mais ses reproches la faisait se sentir à peu près aussi fière qu’une crotte de chien délavée par la pluie. Sandrine elle-même ressemblait tout à coup beaucoup moins à une militante de la ligue anti-alcool de base. Le prêtre, le Docteur et une jeune fille qui ne devait pas avoir plus de seize ans s’étaient approchés et les regardaient toutes les deux d’un air désolé. Sandrine rangea lentement son portable.

-Mais, on va s’inquiéter pour nous…

-J’en suis bien conscient mademoiselle, dit le prêtre mais… je crains fort que les circonstances soient exceptionnelles. La tempête dehors… Vous devriez simplement remercier le Seigneur d’être encore en vie. C’est déjà un petit miracle cette accalmie alors que vous étiez près de la chapelle…

-Et vous remercier d’avoir été là mon père, reprit Cécile, tout en adressant un regard sans appel à sa compagne de route. Je m’excuse si… Nous vous remercions et c’est vraiment avec plaisir que nous partagerons votre compagnie ce soir. Si vous voulez bien de nous du moins.

-On n’a pas tellement le choix mesdemoiselles, à moins de vouloir vous tuer en vous mettant à la porte !

-Mathieu !

-Désolé Monsieur le Curé.

-Ce n’est rien, répondit Cécile, mais vous êtes sûrs ?

-Evidemment, que ces goujats sont sûrs, c’était la petite bonne femme de la soupe. Et puis c’est moi qui ai préparé le repas..

-Et moi…, intervint madame commissure noble.

-Oui, avec madame la Baronne qui a…

-Ajouté le persil aux sauces, reprit Mathieu faisant rire grassement l’assemblée de vingt trublions qui observait la scène, la plupart rassemblés autour d’une énorme, gargantuesque tablée en chêne massif, un truc qui devait dater et qu’il ne devait plus être possible de refaire de nos jours, pensa Cécile, les autres observant la neige qui tombait par les fenêtres ou encore calés à un coin ou un autre de l’âtre.

-Bref, c’est moi qui ai cuisiné et fait les chambres, alors envoyez paître ces vieilles badernes et restez mesdemoiselles… et si vous voulez encore un bol de soupe, c’est maintenant ou jamais parce qu’on va bientôt passer à table pour la suite des hostilités.

-Roseline ! gronda le curé en rigolant. C’est notre "bonne du curé", elle a un sacré caractère, mais elle prépare le civet de biche… vous allez voir ce que vous allez voir. À moins que … vous n’êtes pas végétariennes ?

-En plus de toutes vos autres tares…

-Ca suffit Mathieu ! Alors, vous … vous mangez du gibier ? Sinon, Roseline peut vite vous faire quelques œufs !

-Ne vous inquiétez pas mon père, nous allons dévorer, je pense que vous allez nous jeter dehors ! N’est-ce-pas Sandrine ?

-Evidemment.

-La cause est entendue alors. Nous nous serrerons pour vous laisser une chambre de libre et une place à table ! Roseline, vous voudrez bien accompagner ces demoiselles ?

Et ma foi, Roseline voulut bien. La ferme n’était plus une ferme depuis longtemps, si elle l’avait jamais été d’ailleurs, Roseline n’en savait rien. Depuis le 16ème siècle au moins, c’était pour tous les gens de la région l’auberge des Brigands Fayis. Elle flanquait une antique chapelle dédiée à Saint Roch qui voyait défiler nombre de pèlerins. Il fallait bien les loger. Quant au nom du lieu dit, il venait du fait qu’au Moyen Âge ou encore avant, les six hêtres qui s’élevaient à l’antique carrefour de voies romaines qui passaient ici, servaient de lieu de justice et de gibet, la justice en ces temps là étant légèrement plus expéditive que les atermoiements actuels. Cécile sourit. Roseline, bien qu’elle semblât être une fille de ferme un peu rude, avait dit "atermoiement" et pas foutoir, gros bordel ou tout autre terme qui aurait convenu aux errements judiciaires contemporains. Et Cécile aimait ce trait chez ces gens. Ils utilisaient un langage que le plupart de leurs contemporains ne maitrisaient plus. Et une des raisons pour lesquelles Cécile fréquentait Dieu et sa jeunesse militante tenait justement au fait qu’on y rencontrait plus qu’ailleurs des jeunes à l’âme un peu élevée qui se trouvaient capables de parler d’autre chose que du dernier tube de Shakira en la trouvant qui "trop bonne" qui "trop de la balle". Même si, chaque fois que ce genre de pensée arrivait jusqu’à sa conscience, Cécile se disait aussi qu’elle n’était décidément qu’une minuscule bourgeoise, élitiste et un peu péteuse sur les bords, voire au milieu. Mais peu importe, tandis qu’elle aidait Roseline à faire les lits et que Sandrine enfilait en silence des vêtements propres, Cécile se sentait pleine de joie si pas de grâce. Elle se réjouissait de passer la soirée avec ces gens et de partager leur repas. La chambre sentait le feu de bois, l’ancienneté mais aussi les draps propres et douillets. Comme Roseline faisait silence, Cécile l’interrogea, tout en changeant de vêtements à son tour. Elle sentait le regard de la bonne qui jaugeait son corps. Pour ne pas avoir le loisir de trouver ça plus dérangeant ou bien pour ne pas trouver ça flatteur, elle interrogea la femme.

-Ce serait indiscret de vous demander ce que vous faites tous ici ?

-Oh ! c’est une très longue histoire. Nous venons tous de différentes paroisses des environs. Moi, je suis de Solwaster. Monsieur le curé, de Sart-Lez-Spa. Tous nous avons fait partie de chorales dans nos paroisses respectives et nous étions tous très impliqués dans leurs vies à ces paroisses. Mais disons que… comment vous dire… Nous ne nous sommes pas fâchés avec Dieu si vous voulez, mais plutôt avec la manière dont on le vénère... mal. Bref, comme aucun de nous ne nous sentions à l’aise dans nos communautés, Monsieur le curé, qui connaissait quelques-uns d’entre nous, a décidé de fonder une chorale. Le bouche à oreille nous a ensuite tous rassemblés. Et tout naturellement, grâce aux conseils de Monsieur le Curé mais surtout grâce à Mathieu, dont la famille possède encore le terrain et l’auberge, nous avons atterri ici. C’est un lieu si ancien, si vous saviez… Un lieu qui avait besoin de nous comme nous avions besoin de lui, je crois. La chapelle commençait à tomber en ruines. L’auberge n’était plus fréquentée que par des écureuils. Nous avons tout rebâti de nos mains, vous savez. Mais ça en valait la peine. Nous nous réunissons ici pour célébrer le culte, chanter, parler, nous recueillir mais surtout pour fêter la vie qui est si belle. On vient ici à pied, en partant de Solwaster. On chante et on dit une messe et puis on prend un bon repas.

-Excusez-moi, intervint Sandrine, mais que vouliez-vous dire par "on était fâché avec la manière dont on vénérait Dieu" ?

-Bien, sauf, votre respect mademoiselle, vous devez bien le savoir non ? Je parle de la manière dont VOUS voyez la religion également, toutes les deux.

Les deux filles accusèrent le coup et la douce torpeur qui envahissait Cécile s’évanouit d’un coup. Ce fut un court mais étrange sentiment, comme si on l’avait giflée.

-Que… où est le problème, balbutia une Sandrine que Cécile n’avait pas vu autant dans ses petits souliers depuis longtemps.

-Le problème c’est de voir le mal où il est et pas ailleurs. Il n’est ni dans l’amour, ni dans la joie, ni dans les rires, ni dans la beauté.

-Et alors ? Je suis d’accord avec ça ! dit Sandrine.

Roseline, dans la lueur vacillante de l’unique bougie qui éclairait la pièce se tint immobile, les clouant du regard quelques secondes qui parurent une semaine aux deux filles qui se demandaient quand elles avaient pour la dernière fois rencontrer une petite bonne femme aussi décidée. Mais rien ne pouvait les préparer à ce que leur dit à ce moment la "bonne du curé", surtout Cécile qui eut l’impression qu’on lui ouvrait le crâne pour lire à l’intérieur.

-Et alors jeunes filles ? Vivre de certitudes définitives n’est pas suivre les voies divines. Se gausser de la gouaille un peu crasse de ses camarades de classe pour leur préférer de jeunes bourgeoises pleines de foi et de préjugés non plus. Et si vous croyez que c’est en buvant de l’eau bénite pour des principes raides comme un col amidonné, en méprisant ceux qui "chutent" que vous conserverez la pureté de votre âme… alors vous ne savez pas ce qu’est une âme. Comme dirait Mathieu, qui a une âme magnifique pour qui ne s’arrête pas à ses beaux yeux gris, "il y a plus de divin dans un baraki qui rit que dans un bigot qui serre les fesses".

Voyant les deux filles virer au gris, Roseline passa du mode justice divine au mode petite replète amatrice de cassoulet en une déconcertante fraction de seconde. Eclatant aux éclats elle sortit de la pièce puis repassa la tête par l’embrasure.

-Allez, les filles, fi de théologie de soubrette, ne faites pas cette tête, vous êtes belles, intelligentes jeunes… vous avez la vie pour rire, mais juste une soirée pour découvrir mon civet de biche. Finissez de vous habiller et rejoignez-nous. C’est la saint Valentin que Diable ! Fêtons l’amour !

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9 novembre 2010 2 09 /11 /novembre /2010 07:33

   Massettes (mare en haricot)

Episode 1

 

La Chapelle : Episode 2

 

La rivière à moitié gelée accompagnait maintenant leur progression de son gargouillis joyeux. Le vent, étrangement, s’était calmé, laissant l’air parfaitement immobile et les filles solitaires au milieu d’un paysage d’une blancheur mate et triste.

Les flocons, épais et humides, tombaient droits comme des fils à plomb, bientôt tellement drus que leur foule formait une masse grisâtre informe à cinq mètres alentours, isolant les filles du reste du monde et de tout point de repère. Elles s’aperçurent à peine qu’elles dépassaient la silhouette ténébreuse de Reinhardtstein pour s’enfoncer résolument sous les frondaisons par un étroit chemin en surplomb, mince corniche étranglée entre le torrent et les pentes abruptes chargées de hauts conifères hostiles.

A ce point, le vent reprit de plus belle et l’étrange accalmie cessa brusquement. Les flocons se firent plus petits, plus durs et se mirent à gicler violemment au visage des filles qui durent bientôt se courber pour avancer.

Plus aucun humain à l’horizon bien court, un chemin qui se faisait sentier et se faufilait maintenant, trace subtile, entre les troncs, une visibilité quasi nulle, la neige qui s’accumulait, fondant tout dans le même moule informe et des facultés d’observations complètement anesthésiées… Elles quittèrent sans s’en apercevoir le sentier balisé, et bientôt, toute sente humaine. Elles se retrouvèrent au milieu des bois. Au milieu de rien.

Après quinze minutes de quasi reptation dans un paysage devenu infernal, les filles durent se résoudre à l’arrêt, le visage tuméfié et les yeux en larmes tant la bise leur tailladait les chairs. La neige continuait de s’accumuler avec fureur, comblant les moindres accidents du terrain et rendant le paysage amnésique. Les bourrasques mugissaient si fort que même en criant, les deux filles avaient du mal à se comprendre.

Mais il n’y avait pas grand-chose à comprendre en fait. Avancer devenait impossible, reculer aussi. Pas un instant, elles ne pensèrent à rebrousser chemin de deux ou trois kilomètres à peine pour rejoindre le château de Reinhardtstein qui peut-être était occupé... ou pas. Le froid, la fatigue et la panique grandissante annihilaient leurs facultés. Elle voyaient deux possibilités : attendre que la tempête se calme ou prendre carte et boussole pour rejoindre la route la plus proche et se débrouiller : stop ou transports en commun.

Mais le temps était si déchainé que même ouvrir le topo-guide devenait un défi. Le tenir ouvert, un fantasme. Et puis très vite, Cécile, qui était peut-être moins mystique que Sandrine mais savait lire une carte, se rendit compte qu’elles avaient quitté le GR et se retrouvaient au milieu de milliers de troncs d’arbres identiques, avec une visibilité de quelques mètres.

La petite catin nommée panique se montrait de plus en plus séduisante à suivre. Elles firent des allers-retours, martelèrent des troncs, eurent des mots de rage, furent tentées de s’affaler pour pleurer un bon coup et y cédèrent même un peu, le temps, déjà, d’une prière.

Et pendant ce temps, l’après-midi vieillissait vite. La neige tombait. Le froid se durcissait.

Mais les deux jeunes guides, en cela elles n’avaient pas été présomptueuses, avaient une solide expérience de la randonnée et surtout les ressources de deux filles sportives de 20 ans à lancer dans la bagarre. Cécile entraîna son amie dans la seule chose censée à faire : descendre la pente, trouver le ruisseau ou la rivière qui coulait en bas et au fil de l’eau, rejoindre une route, n’importe laquelle.

Elles se dépêtrèrent, plus d’une heure durant, avec les congères épaisses qui masquaient rochers glissants, racines tortueuses, tas de branches pointues et coupantes. Miracle ou chance, elles manquèrent de peu, plusieurs fois, de se rompre un os ou de s’ouvrir une plaie mal placée. Un peu d’aide du ciel aurait été la bienvenue pour deux catholiques ferventes de 20 ans. Déjà qu’il n’y en avait plus tellement… des catholiques fervents. Mais apparemment ni ces pensées impies de Cécile ni les prières de Sandrine n’émurent quiconque et la tempête de neige continua, furibonde.

Et déjà, la lumière déclinante annonçait le crépuscule et les températures faisaient écho, rejoignant les dix degrés sous zéro.

Enfin, après une nouvelle demi-heure à tâtonner dans le blizzard, elles atteignirent enfin un replat qui semblait être un chemin forestier. Il leur semblait aussi que le vent se calmait. La neige elle, tombait plus serrée que jamais.

Dans la lumière chiche et grise que le jour à sa fin daignait encore laisser filtrer, Sandrine et Cécile eurent enfin le loisir de relever la tête et d’observer où elles étaient. Et ce qu’elles voyaient ne relevait pas de ce qu’on pouvait appelé des bonnes nouvelles. Elles se tenaient sur un chemin, soit, mais un chemin qui filait sur un plateau, pas au long d’un ruisseau. Rien, aucun souvenir, aucun cheminement logique ne leur permettait de comprendre comment, en suivant une pente vers le bas, elles avaient pu se retrouver au sommet d’un plateau.

Et ça filait sans fin avec dans toutes les directions des arbres et des arbres, et rien d’autre : ni lumières, ni sons, ni humains, rien. La couche de neige, pure et intacte aussi loin qu’elles pouvaient encore voir, laissant à peine deviner les plus grosses aspérités du terrain, leur arrivait quasiment aux genoux.

Panique la catin laissait doucement place à angoisse, la grosse pute salace. Sûre que désespoir, la Sainte protectrice des âmes endolories allait bientôt poindre son sale nez, Cécile se concentra sur elle-même, sur ses espérances les plus secrètes pour tenter de reprendre pied. Elle entendait Sandrine sangloter et marmonner des "c’est ma faute, si je n’avais pas été aussi tête de mule".

La voir pleurer acheva Cécile. Sa tête tournait, chaque muscle de son corps hurlait l’abandon de la partie. La sensation de ses pieds était de plus en plus floutée. Quant à ses mains, malgré les gants, elles devenaient de plus en plus bleues, douloureuses et raides. Pire que tout le reste, une voix de plus en plus autoritaire psalmodiait "assieds-toi, prends juste un peu de repos. Arrêtes de gesticuler. Ce serait si bon de poser ses fesses et attendre." Elle se retourna et vit que la même voix agissait en Sandrine, affalée contre un tronc, la tête entre les genoux, silencieuse maintenant. Peut-être priant encore. Cécile, elle, avait arrêté depuis un moment.

Un court instant, elle se vit en train de lui filer de grands coups de pieds et de l’insulter, cette espèce de dinde si forte et si maligne, quand tout allait bien du moins. Au lieu de ça, elle souleva son amie, la prit dans ses bras et tenta de lui remettre les idées en place.

-Allez Sandrine, la tempête se calme et on a retrouvé un chemin. On va le suivre. On va trouver un bled. On va s’en sortir. On est au 21 siècle, en Belgique, dans un pays surpeuplé et le jour de la Saint-Valentin en plus. Toutes les gargotes de tous les bleds du coin doivent être ouvertes et remplies d’idiots d’amoureux. Courage !

-J’en peux plus. Je ne comprends plus rien… on ne devrait pas se trouver en haut mais en bas, sur une route et je…

-Tais-toi ! pense à nos parents, aux filles qui vont bientôt arriver à Bévercé… enfin je sais pas moi. On va pas attendre ici d’être sous un igloo non ? On n’a pas le choix.

Elle traina Sandrine sur une dizaine de mètres, puis celle-ci se mit à marcher seule.  Lentement. La neige fraiche ne soutenait absolument pas leur poids. Il fallait soulever les genoux jusqu’à hauteur de taille, les laisser s’enfoncer dans la neige qui s’insinuait alors sous le pantalon gelé, dans les chaussettes, se dépatouiller à nouveau, la tête basse , les membres ankylosés, garder son équilibre ou tomber dans la neige. La chute éperdue des flocons se calmait et semblait même en voie de s’arrêter mais il faisait maintenant nuit noire. La température dégringolait, gelant l’intérieur de leurs narines. Le vent, glacé, vicieux, coupant, leur cinglait le visage , emportant à chaque seconde un peu plus de détermination.

Elles allaient bientôt s’écrouler. Le temps défilait, au contraire du chemin, tant leurs gesticulations inutiles dans la grande saloperie du manteau blanc de l’hiver s’apparentait à une reptation d’escargot.

Cécile entendit un grand bruit mou derrière elle. Sandrine venait de s’écrouler, tête la première dans la neige. Cécile releva la sienne, remarquant puis oubliant un détail étrange, pour se retourner et secourir son amie. Elle la prit par les bras, époussetant comme elle le pouvait la poudre blanche qui faisait comme un masque de beauté

(un masque mortuaire)

à Sandrine. Se soutenant mutuellement, elle s’écroulèrent en geignant contre un tronc, épuisées, muettes, inertes.

Plus désespérées qu'un cul-de-jatte dans un concours de pieds au cul.

Appelez ça l’instinct de survie, le hasard où la main de Dieu. Au bout d’un moment, Cécile eut une drôle de sensation, comme si son propre esprit, quelque part du fond de sa fatigue, essayait de lui foutre des pieds au derrière pour qu’elle réagisse. Cette chose qu’elle avait entre aperçue quand Sandrine s’était affalée…

Cécile se leva avec peine, remarquant seulement qu’il ne neigeait plus. En levant les yeux, on apercevait même quelques étoiles impassibles entre les hautes silhouettes des épicéas, et de gros nuages de traine qui masquaient par intermittence une demi-lune roussâtre. Elle avança un peu sur le chemin. Avec la lune et la clarté de la neige, on voyait bien les troncs de sapins qui se serraient encore sur quelques centaines de mètres puis s’espaçaient pour donner dans une clairière, située peut-être à un km de là, en contrebas de la crête. Et dans la clairière, Cécile apercevait des lumières : celles d’une ferme ou d’une bâtisse isolée, mais des lumières. Du secours.

Les larmes montèrent comme son souffle s’accélérait. Elle faillit se mettre à courir vers les lumières. Juste à temps pour ne pas avoir trop honte, elle se rappela Sandrine et retourna la chercher.

Il lui fallu se battre sur un kilomètre et demi, dans la neige haute, les branches arrachées et le froid polaire qui s’installait (on allait relever cette nuit là des températures de 18 degrés sous zéro et sous abri) pour arriver jusqu’à la source des lumières.

Déjà après quelques mètres, Cécile dut se retenir de ne pas hurler à l’aide. Mais Cécile était fière, peut-être plus que Sandrine. Et elle avait une conscience aigue du ridicule de leur situation et de l’orgueil qui avait habité deux gamines de 20 ans un jour de blizzard.

Mais bien plus, depuis qu’elle avait repris espoir, Cécile vivait chaque seconde avec une euphorie presqu’obscène. Chaque détail la percutait douloureusement. Elle se retrouvait à nouveau étouffée par la beauté inhumaine du paysage nocturne.

Les nuages moutonneux qui défilaient à vive allure devant la lune iridescente passaient d’un noir ourlé de lumière vive à un blanc d’argent fantomatique. Le paysage se teintait de surnaturel. La haute foule de sapins emmitouflés, solennelle et figée, le manteau onctueux qui étincelait au clair de lune, les ombres qui rampaient dessous cette assemblée végétale et l’air glacé qui prenait une consistance cristalline et cassante marquaient ses souvenirs comme du papier argentique. Et à l’arrière plan de ce paysage digne d’un Tim Burton, les bâtiments dans la clairière se rapprochaient.

On les distinguait nettement à présent : une petite chapelle carrée au toit de schiste et au clocher octogonal, flanquant une longue bâtisse qui devait être une ferme, avec ce qui semblait être des étables ou des écuries. De deux cheminées trapues, la bonne fumée d’un âtre (on sentait l'odeur du bois brûlé jusqu'ici) montait vers les étoiles. Cécile en avait déjà les orteils qui picotaient d’aise. Encourageant et soutenant Sandrine, silencieuse, amorphe, Cécile s'emplissait d'une fureur sauvage au fur et à mesure que les bâtiments approchaient sans s’évanouir : ni rêve ni mirage, ils étaient bel et bien là.

Bientôt des sons commencèrent à lui parvenir : des bribes de chants, des voix haut-perchées et un peu éraillées, mais apparemment des chants religieux. Cent-cinquante mètres les séparaient encore de ce que Cécile en était venue à appeler le salut.

La porte de la chapelle s’ouvrit et une vingtaine de silhouettes emmitouflées dans des capes et des gabardines se pressèrent vers la ferme. Un prêtre, vêtu à l’ancienne mode, soutane noire et col blanc, fermait la marche. Cette vision furtive d’êtres humains dans la nuit glacée tira un sanglot sonore à Cécile mais aussi une brève sensation dérangeante. Les silhouettes semblaient étrangement vêtues. Certaines, notamment, portaient des couvre-chefs à la mode du siècle dit des lumières ou même peut-être d’avant, de ces grands chapeaux noirs avec des plumes ou des boucles dorées. De plus, probablement à cause de l’éclat féérique de la lune ou de l’effet du froid sur ses yeux, il sembla à Cécile pendant quelque angoissantes secondes que les silhouettes ne marchaient pas mais flottaient sur la neige et qu’en lieu et place de jambes, il n’y avait à leur base qu’un vague amas de fumeroles.

Cécile, estomaquée, serra fort les paupières sur ses yeux embués. Décidant que son esprit lui jouait un tour et qu’elle crevait de froid, elle héla enfin le groupe d’êtres humains ou de spectres.

De toute façon, avec le froid, d’ici une heure tout au plus, ça n’aurait plus eu aucune importance.

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