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14 novembre 2010 7 14 /11 /novembre /2010 09:20

L’essaim des saints

 

Saint Laurent, un type qui roulait en Golf. Sainte Adeltrude

"A la sainte Adeltrude si homme blanc couper du bois, hiver sera rude."

Proverbe Algonkin.

 

L’aigreur du jour : Et l’armistice, c’est pour les morts ?

Bon d’accord, je vous parle de l’armistice du 11 un 14 novembre. Et alors ? Dans mon village, ils ont bien mis des vieux autour du monument le 10 au soir. Probablement parce que le lendemain étant férié, la maréchaussée assurant la sécurité de cet énorme attroupement de 15 retraités de celle de 40, même pas la bonne, était en congé, le 11. Ou simplement parce qu’un jour férié, on ferme les maisons de retraite avec les vieux dedans pendant que le personnel va manger du roastbeef et un part de Vaution chez Belle-Maman. Soit.

Un comble tout de même quand on sait que c’est congé le 11 parce qu'oncle Coeme est mort (on commémore, jeux de morts hein !).

Mais que fête-t-on le 11, se disent nos rejetons enfoirés massivement par toutes les conneries qu’ils ingurgitent sur les écrans ?

Simple, le 11 novembre, c’est le jour de 1918 où un bande de croulants prégrabataires, dont certains avec des casques à pointe qu’il ne fait pas bon s’asseoir dessus quand on les oublie sur une chaise, s’est retrouvée coincée dans un train de la SNCB française, qu’on appelle là-bas, allez savoir pourquoi, SNCF. Le train était immobilisé sur le rail par la chute automnale des feuilles mortes qu’on ramassait à la pelle sur les voies, impénétrables.

Ils se sont dit : "Bon, plutôt que de se faire une crapette vitesse, si on signait la fin de bail de la boucherie, qu’on remettait le commerce de chair à canons et, tant qu’on y est, si on prenait une option ferme sur la suivante, de boucherie ?"

14-18, pour ceux qui aiment le gore, c’est le Graal intégral. Pour les Flamands, c’est une tour. Pour ceux, qui comme moi, pensent que la guerre, c’est, si pas une preuve, au moins un indice accablant que Dieu picole et que si, pour de vrai, il a créé l’homme à son image et la femme à celle d’une côte de porc, ben Dieu, c’est pas un type fréquentable, 14-18, c’est un sommet.

Un sommet du massacre organisé, que ces pauvres diables enterrés pendant 4 ans dans la boue, se faisant tuer, pour non pas un Empire, ni même la conquête d’une baronnie, mais faisant du surplace à longueur d’étripage pour les lubies d’une bande de vieux schnoques dirigeant des Grandes Puissances à l’impérialisme de très mauvais goût, à une époque où impérialisme c’était pas juste un bon mot de gauchiste.

Parce que, excusez-moi, mais les guerres du petit corse vindicatif là, ou celle de 1870, où le gros moustachu qui portait un nom de cuirassier (pas Clémenceau, ça c’est un sous-marin) voulait que les braves Alsaciens, les truculents Bavarois ou les sympathiques Rhénans parlent le vrai prussien de Prusse, ces épopées-là, pour connes qu’elles furent, n’en avaient pas moins une autre gueule. Ahhhh ! Les charges héroïques, l’uniforme rutilant et coloré, le sabre au clair, les tripes au vent !

Alors que 14-18… bon on peut lui attribuer quelques progrès techniques comme le char, l’avion de combat ou le gaz de combat… mais bon. Sans compter que cette foutue guerre aurait cristallisé les rancoeurs flamandes. Prétendument que les pauvres bidasses flamands ne comprenaient rien quand les officiers leur aboyaient des ordres en français. Oui, certes, mais d’abord, ils éructaient en français parce qu’ils étaient officiers et donc bourgeois. Et à cette époque-là, un bourgeois, qu’il fut d’Anvers ou de Liège, ça éructait en français. Mais d’un autre côté, quand on vous gueule de sortir d’une tranchée pour aller vous faire faucher par les mitrailleuses ennemies, a-t-on besoin de comprendre pour mourir ? Les soldats français, anglais, wallons ou allemands, quand on leur ordonnait de galoper guillerets parmi barbelés, obus, gaz et balles sifflantes, qu’ils pigent la langue ou pas, ça ne les empêchaient pas de crever. Ils finissaient tous aussi mort que n’importe quel martyr à posteriori de la cause flamingante.

Bref, 14-18, c’est la parangon de la boucherie gratuite, stupide et obtuse.

On n’en dira pas plus. Cependant, cette joyeuse évocation me permet quand même de préciser quelques points à deux races de cons ordinaires.

D’abord, à ceux qui sont trop jeunes pour avoir connu la guerre aux portes de leur chaumière, comme moi. Du genre de ceux pour qui la guerre, c’est un truc plutôt épicé et coloré (fun diront les plus sots d’entre eux) qu’on livre à d’improbables trolls et kobbolds d’une galaxie lointaine. Ensuite, à ceux pour qui la guerre est une suite d’images "à buzz" et d’histoires glauques télévisuelles ou livresques, certes, mais confinées aux temps pharaoniques ou à des rivages lointains (pas trop à vol d’avion pourtant) d’Irak, de Somalie ou d’Afghanistan. Qu’ils nous paraissent étrangers et fictionnels ces petits noirs orphelins et mutilés, ces Afghans enfants soldats ou ces femmes violées en Afrique. En gros, c’est triste monsieur, mais on s’en fout, y a du rôti à midi et "le mentaliste" au soir. Ou Koh-Lanta et Machin-truc elle est trop bonne.

A ceux-là, puis-je parler de mon Grand Père ? Il vivait à côté de Liège et aurait eu 105 ans en 2010. Ca peut quand même paraître ancestral à de jeunes emperlousés du smartphone. Pourtant, pour vous situer, mon Grand Papa me prenait sur ses genoux pour me raconter des histoires, faisait des frites le vendredi, des crêpes le dimanche. Surtout, il regardait avec moi le Juste Prix, la Roue de la Fortune ou Questions pour un champion. Il faisait ses courses à Cora et roulait en Lada. Rouge brique la Lada.

En août 1914, mon Grand Papa avait 9 ans. Pour des raisons obscures mais liées à l’égocentrisme, au repli sur soi, à la course au prestige, à la puissance et au fric, toutes les nations d’Europe se sont déclarées la guerre cet été là. Les Allemands pointus ont décidé de passer sur le corps de la Belgique pour attaquer la France. Le Kaiser estimait que c’était l’affaire d’une semaine, que ses troupes allaient rentrer dans le belge comme dans du beurre ramolli. Ces belges que les français traitaient avec mépris de boches du Nord. Ces Belges qui avaient déclaré : Français ou allemand, le premier qui nous passe dessus, c’est la guerre. Les petits Belges, mous et ridicules. Et voilà les Allemands qui nous traversent, le sourire conquérant, la fleur au fusil, prêts à nous écraser en quelques jours. Le petit Belge, abreuvé de patriotisme bien du siècle, attend, retranché.

Mon Grand Père habitait un hameau sur les hauteurs de Liège, Rabosée. Là, dans la nuit du 5 août je crois, une poignée de soldats belges (genre 400 soldats, une grosse poignée) se retranche et attend l’ennemi qui marche vers Liège. Les troupes allemandes comptent entre 4 et 5000 hommes. Dix fois plus.

Ils attaquent et se rendent compte un peu tard que finalement, le Belge est un peu plus dur que du beurre. La bataille va faire rage toute la nuit. Seule une poignée de Belges parviendra finalement à se replier, laissant derrière elle des montagnes de cadavres Belges mais surtout Allemands. Les 5000 Allemands se sont faits arrêter net. Ca reflue de partout, ça panique, les colonnes sont désarçonnées, désorganisées. Les petits Belges ont mis une grande claque aux troupes du Kaiser, un claque pleine de sang.

Et la bataille de Liège, qui fera des milliers de morts ne fait que commencer, enlisant les Allemands pendant des jours et laissant au reste de l’armée belge et aux Français le temps de finir leur déploiement. Ca à même valu à mon village natal, Barchon, d’avoir une rue avec son nom à Bruxelles et une autre à Paris. Chouette alors.

Les soldats allemands vont prendre la population belge en grippe, voir des terroristes partout, se venger bassement. Des centaines de civils vont être battus, violés, exécutés, massacrés, les villages pillés, incendiés.

La bataille de Rabosée, mon Grand Père l’a passée terré dans sa cave au son des batteries de canon et des mitrailleuses. Lorsqu’il émerge le lendemain, c’est pour voir son village en ruines, ses voisins, ses copains d’école, ses cousins pendus aux arbres ou affalés contre les murs, criblés de balles. Il m’a raconté ça une fois. Une seule. Je peux vous dire que ça m’a fait plus d’effet que le juste prix. Que voulez-vous, mon Grand Père m’était plus proche que les enfants palestiniens.

Et tout ça pourquoi ? Pour le motif le plus sombrement et connement humain qui soit : la guerre. Et le 11 novembre, ce n’est pas un monument qu’on vénère, tas d’abrutis de l'Ipad, mais un souvenir.

Et c’est ici que je voudrais m’adresser à un autre public, plus con encore que celui des adeptes du smartphone : les oublieux de la mémoire, les historiens séparatistes latinisant centrés sur leur cul, les persifleurs qui passent l’histoire au tamis de leur plan de carrière ou de leurs idées puantes. L’égoïsme, le repli sur soi, le rejet, la stigmatisation sont les mamelles des boucheries. En 14-18, il n’y avaient ni Flamands ni Wallons et à la fin même plus de Belges : justes des couillons qui essayaient de survivre.

Et à ceux qui écoutent ces oublieux du dimanche midi en tout genre, qu’ils se rappellent bien que l’Histoire avec une grande tache et qui n’est que la légende dorée des puissants et des nantis, s’écrit toujours avec le sang et la sueur des couillons de base. Que ces couillons soient Flamands, Wallons, Allemands, Français, Algériens, Palestiniens ou Israéliens n’y change rien. Et ce n’est pas le tas de tripes et d’os anonyme dont on ravive la flamme du souvenir chaque année qui me contredira. Pas que je m’en sente proche : moi je n’ai qu’à trouver le courage de vivre au quotidien, lui a dû trouver le courage d’aller se faire tuer pour pas grand-chose.

Mais dans ces conditions, je me crois autorisé néanmoins à dire ouvertement aux séparatistes, indépendantistes, obscurantistes de tout bord que je les emmerde !

 

Cela dit, je ne veux pas me pavaner, mais les hideux de mars risquent bien d’être trois en 2011.

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13 novembre 2010 6 13 /11 /novembre /2010 14:34

 

Allée saule têtard rue de Prâle

 

 

 

La liste des épisodes, pour les lire dans l'ordre

 

 

La Chapelle : Episode 4.

 

 

Les deux filles restèrent interdites un moment, puis Sandrine regarda par la fenêtre. La neige tombait toujours.

-Tu ne crois pas qu’il faudrait partir ? Ces gens sont… c’est une secte je crois.

Cécile fut sur le point de la suivre. Et puis tout à coup, la fatigue, ou autre chose aidant, tout sortit d’un coup.

-Une secte… Sandrine, je t’aime beaucoup… trop à mon avis. Mais là, tu … tu me fais chier. Cécile contint un sourire. L’allusion vulgaire avait frappé direct, comme toujours, c’était si facile avec Sandrine. Dehors, c’est l’enfer. Et j’ai suffisamment bavé comme ça aujourd’hui. Toi et tes principes… tes… putains de préjugés… Tu la ramenais quand même moins quand on était dehors hein ? Si je ne t’avais pas trainé, tu serais encore à bouffer des flocons sous un sapin… Et ce qu’a dit cette femme… Dieu…c’est, c’est ce que j’ai au fond de moi depuis… Oh et puis reste ici si tu veux, moi j’ai envie de goûter du civet.

Cécile sortit sans se retourner, allant retrouver le civet mais aussi, sans trop le laisser remonter en surface, espérant ne pas être placée trop loin d’Yeux-d’argent.

En entrant dans la pièce principale où tout le monde se pressait déjà autour de la grande tablée de chêne, fut-elle seulement surprise de voir qu’une des deux places encore libres, la sienne incontestablement, jouxtait celle de Mathieu ? A peine en fait.

L’odeur qui montait maintenant de la pièce, alors que Roseline aidée de deux adolescentes que Cécile n’avait qu’aperçu jusqu’ici, installait les plats contenant non pas un mais cinq civets fumants, parlait directement à son estomac, d’une manière quasi inédite. Cécile était prête à dévorer un ours au besoin.

-Votre amie ne nous rejoint pas, s’enquit Mathieu, tandis qu’elle prenait place à ses côtés (arrête ma fille, tu ne vas pas avoir un frisson simplement parce que tu te retrouves à côté de Mister Gros cou 2009 ?).

-Je n’en sais rien. On verra bien… enfin je suppose. Laissez tomber.

On avait déjà versé de l’eau dans son verre. Amèrement, elle découvrit qu’elle le regrettait et quelle aurait bien goûté le vin rouge qui circulait autour de la table, emplissant les jolis verres à pied d’une boisson aux tons veloutés dans la lumière chaude des chandeliers. Pas parce qu’elle en avait envie mais juste pour faire bisquer Sandrine. Sandrine et ses idées arrêtées. Sandrine et sa force de persuasion. Sandrine et sa tendresse dans les mauvais moments. Sandrine et sa foutue randonnée qui les avaient menées toutes deux ici, dans cet endroit où elle se tenait précisément maintenant, si inconfortable, en équilibre instable sur une corde qui séparait la volupté d’une sourde envie de partir en courant.

Mathieu leva son verre, alors que les deux jeunes filles finissaient de distribuer les tranches de civets , nappés d’une sauce brune épaisse pleine de myrtilles, accompagnés de champignons que Cécile reconnut pour être des pieds bleus, son champignon préféré, comme par hasard. Elle se rendit compte qu’elle était limite en train de baver. Le jeune homme interrompit son geste. Sandrine traversa la pièce, raide comme la justice et rejoint sa place entre Roseline et le curé, à l’opposé de Cécile. Les deux filles échangèrent un regard et Sandrine lui tira une langue discrète. Mathieu continua.

-Mes amis… nous avons assez attendu. A nous. A l’amour. A l’amitié. A nos invitées. A toutes les biches à la cuisse tendre ! Santé.

Buvant une gorgée, il mira son verre, le renifla en fermant les yeux. Une attitude que Cécile trouvait ridicule.

-Vous ne savez pas ce que vous ratez.

-Ce n’est jamais que du vin.

-Du vin ? C’est un morgon. Un 2005 en plus et une côte du Py. Que du vin ? Celui qui n’apprécie pas un tel breuvage, un tel nectar, ne sait pas vivre.

-Mouais, ça fait un peu l’aile ou la cuisse non ?

-Sentez.

-Non merci.

-Sentez… ouvrez votre esprit borné jolie jeune fille. Vous n’allez pas sombrer dans les affres de l’alcoolisme pour un coup de nez ! Jamais au grand jamais je ne vous forcerais à boire, pas plus qu’à autre chose d’ailleurs. Le libre arbitre doit rester souverain. Je n’y déroge jamais !

-Quel est-votre âge ?

-Pourquoi ?

-Je ne sais pas. Votre manière de parler et de donner des leçons me font rire… Alors que vous ne devez pas avoir plus de 20 ans, je me trompe ?

-Si je vous fais rire, c’est déjà ça. Mais détrompez vous, je suis dans les parages depuis… très très longtemps ! J’approche les 26 ans ! Sentez, je vous dis !

-Têtu comme un âne. Allez passez-le moi votre « nectar » que je sente son odeur de vinasse !

-Insultez ainsi la Côte du Py… Vous mériteriez que je vous jette à la neige

Rendant un sourire complice au garçon, et un clin d’œil provocateur à Sandrine qui malgré sa conversation avec le curé, lui jetait des regards en coin pleins de désapprobation mais aussi, Cécile en aurait juré, de jalousie, elle porta le verre à son nez.

Elle aurait pu envoyer paître Mathieu, rien que pour le faire bisquer et pour tenter de se convaincre, que non, ce garçon ne lui donnait pas des frissons totalement inconvenants, ma chère belle-mère, de l’échine jusque dans le creux du genou. Mais par Dieu, les anges et toute la kyrielle de saints qui se baladaient dans les nuages, elle y porta le nez à ce verre de … comment avait-il dit ? Morgant ? Morbon ? Morgon, oui une côte du Py, ma bonne Solange. Prétentieux et ridicule ! Une vinasse qui sentait la vinasse. Et les buveurs de pinard s’en sortaient par la petite porte de l’hédonisme et de la gastronomie pour excuser leur penchant à picoler. Mais elle y porta le nez… de son plein gré.

-Alors ?

-Alors c’est du vin !

-Irrécupérable, ma jolie. Appliquez-vous. Oubliez l’alcool. Le vin, c’est avant tout une terre, du soleil, le travail d’un artisan. Ici un des meilleurs du Beaujolais en l’occurrence. Jean-Marc Burgaud. Une connaissance qui m’est chère. Alors, sentez, avec vos tripes et vos sens, pas avec vos idées préconçues. Cécile lui sourit à nouveau et porta de nouveau le verre à son nez. Parce qu’effectivement, ça ne sentait pas le « pinard » mais…

Bien rouges, brillantes et fraiches : des fraises des bois, de la confiture de griotte dans la cocotte de sa grand-mère. Un troisième coup de nez la transporta bien au-delà. Un territoire où les mots ne comptaient plus parce qu’ils étaient insuffisants. Une contrée de l’enfance, de bois tapissés de mousse douce et épaisse, baignée par des sources fraiches, de fourrés pleins de myrtilles énormes et juteuses, de maisons aux cuisines meublées d’armoires en vieux bois ciré, emplies de pots de terre cuite débordant d’épices douces. Un pays où le mot d’ordre était sensualité. Dans ce nez, il y avait ce que Cécile cherchait dans les forêts depuis des années : un soupir d’aise en s’asseyant dans l’endroit idéal, un endroit où on pouvait rester comme ça , contemplatif et apaisé, heureux, pour les siècles des siècles, amen. Elle regarda Mathieu avec un sourire dans les yeux susceptible d’accélérer deux fois le réchauffement climatique et elle porta le verre à ses lèvres. Sans aucune autre toile de fond imaginaire que ce petit bois moussu. Le vin, avec sa sensualité crue, l’avait happée.

Elle ne mourut pas foudroyée par la colère divine. Elle ne devint jamais alcoolique. Elle eut par la suite des motifs de regrets et de remords bien plus conflictuels.

Mais Dieu que ce liquide était doux. Les parfums suggérés par le nez explosaient en bouche, au milieu d’une suavité... L’impression de sucer un bout de soie. Et cette fois des images de soirées de lecture avec ses parents au coin du feu, de promenades brumeuses au mois de novembre, de levers de soleil de septembre.

-Alors, vous sentez des cornes qui vous poussent sur le front Cécile ?

-Des cornes ?

-Ben oui, celles du démon qui sommeille derrière chaque goutte de vin. Si vous comptiez aller ailleurs qu’en Enfer, c’est raté !

Cécile éclata de rire, alors que quelques minutes avant elle n’aurait que ricaner jaune aux blagounettes de Mathieu de Lontzen. Du reste, son rire ne fut remarqué de personne, même pas de Sandrine qui semblait en grande conversation, gestes à l’appui avec le prêtre et les deux adolescentes. D’ailleurs la salle s’animait de plus en plus. Les civets diminuaient dans les plats et les bouteilles se vidaient prestement. Un ravitaillement discret mais permanent était assuré par Roseline et les deux adolescentes qui s’extrayaient parfois de l’interminable discours du curé et de Sandrine.

Et le civet mes petits amis… La viande tendre et goûteuse offrait un festival de saveurs contradictoires et pourtant harmonieusement agencées. Et lorsque le vin s’y joignait, Cécile ne pouvait s’empêcher de pousser de petits grognements de plaisir, tant l’agencement des deux frisait la perfection. C’était tout à fait comme si le civet avait magnifié le vin et vice-versa. Cécile, qui n’était pas une gastronome jusqu’à ce jour, n’avait jamais soupçonné qu’on pouvait éprouver autant de plaisir en mangeant et en buvant. Comment avait-elle pu passer en si peu de temps et sans aucun problème de conscience d’une attitude de rejet et de mépris à une telle extase ? Elle se poserait la question plus tard mais pas maintenant. Son verre fut bientôt vide.

-Je vous sers un peu d’eau ? lui demanda Mathieu. Cécile crut qu’il la moquait encore, mais non, apparemment on ne lisait que la sincérité dans ses yeux. Ses magnifiques yeux gris, des yeux qui eux aussi lui intimaient des souvenirs de bois moussus, de branches mortes enchevêtrées, de vieilles forêts perdues et abandonnées des hommes.

-Vous plaisantez ? Vous m’avez converti à votre « nectar ».

-Oui, mais si vous n’avez pas l’habitude de boire… il faudrait peut-être vous modérer. Je n’ai pas envie de vous retrouver collée aux toilettes demain, à discuter avec la porcelaine.

-Comme c’est élégant ! Allez, encore un verre pour finir mon civet (sa troisième portion de civet). Et puis c’est tout.

Sans aucune autre forme de procès. Sans remords. Sans un regard pour Sandrine. Et Mathieu la resservit. Il la resservit.

Mais Cécile, plus encore que par le vin maintenant, était aspirée par la conversation de Mathieu. Ce garçon, travestissait sa fragilité sous la prétention, la finesse d’esprit par l’humour. C’était un tourbillon et Cécile s’y engouffrait joyeusement à présent. Elle remarquait, dans la périphérie de son tête à tête avec ce garçon, que la soirée s’animait. Le jeune couple (la fille s’appelait peut-être Laetitia ou quelque chose comme ça) s’embrassait généreusement. Il sembla même, fugacement, à Cécile que Roseline et une des deux ados étaient penchées bizarrement l’une sur l’autre. Mais à présent, il était trop tard pour s’alarmer. Seules comptaient la conversation de Mathieu et son verre de Morgon qui ne désemplissait pas. Pourtant, Cécile se sentait bien. Elle avait imaginé que l’ébriété signifiait le brouillard, les idées molles et le corps qui titubait. Là, elle se sentait alerte, vive voire à vif. Elle eut quand même encore la bienséance d’opposer, pour la forme, une objection à Mathieu, qui se trouvait de plus en plus proche d’elle, de son corps et Seigneur… de sa bouche.

-Je crois, vilain garçon , que vous essayez de me soûler. Je devrais aller me coucher ou demain j’aurai des remords.

-Les remords sont supérieurs aux regrets ma chère. Mais je ne suis pas de ce genre. Vous vous méprenez sur mes intentions. Ou bien vous travestissez vos désirs en réalités. Et c’est une très bonne chose de suivre ses désirs. Je vais aller en cuisine pour assurer le ravitaillement en vin car Roseline me semble très occupée. Elle mérite un peu de répit la pauvre.

Il se leva. Il fit deux pas. Il se retourna de façon un peu théâtrale. Mais quand Cécile croisa son regard, elle crut voir… Quoi ? Tristesse ? Mort ? Solitude sans nom ? Quelque chose d’intimement déplaisant. Il se pencha vers elle et murmura.

-Croyez moi Cécile, le bonheur est à cueillir quand il éclot, pas quand il se fane. Regardez nos amis ici. La soirée avance et vous allez voir des choses merveilleuses petite fille. Vous allez ce soir vivre des moments inoubliables, des instants de métamorphose. Et puis il ne vous restera que des souvenirs beaux et tristes à la fois. Peut-être un peu effrayants à la fin, mais à la fin seulement. Parce que quand on plonge en eaux profondes, quand on va réellement au bout des choses on effleure l’eau, on traverse la surface, la couche superficielle et puis seulement les eaux de vérité, Cécile.

-je ne comprends rien à ce que vous dites. Ca me parait un peu solennel non ?

-Ecoutez moi bien et ne retenez que ça si vous le voulez. Vivez pleinement vos jours aujourd’hui, sinon vous finirez, comme mes amis, par devoir jouer des artifices de la nuit.

Cécile avait bien une part d’elle-même qui lançait encore des appels à l’aide, celle qui d’habitude était au commandes et étouffait toujours l’autre côté, le côté que le Morgon, l’ambiance ou des yeux gris étranges avaient précisément réveillé et mis au poste de pilotage. Mais cette part là fit définitivement silence quand Mathieu s’éclipsa et que miraculeusement, Sandrine se retrouva assise près d’elle. Cécile ressentit une bouffée de honte, pensa à Mathieu, à son désir de Mathieu, qui devenait presque douloureux et elle pensa aussi à son verre de vin, à moitié vide qui trônait devant elle comme preuve à conviction irréfutable. Sandrine porta alors son propre verre de rouge aux lèvres, en adressant un sourire, que Cécile pouvait qualifier sans doute possible de sourire de salope.

-Sandrine… tu… tu bois ?

-Toi aussi.

-Oui mais moi…

-Tu n’as pas un père alcoolo c’est ça ?

-Non c’est pas ça que je veux dire. Ce que je veux dire… Oh et peu importe. Je m’en fous. J’espère que tu sais ce que tu fais et que tu ne va pas te flageller demain et puis pendant dix ans.

-Je ne suis pas saoule. J’en suis toujours à mon premier verre. Mais je pense que je suis ivre : de bonheur, de calme, de joie, de paroles. Je n’avais plus ressenti cela depuis des années. Cécile, je viens de parler pendant une heure ou une semaine, je ne sais pas, avec le prêtre, l’abbé Gaspard et avec deux jeunes filles de 16 ans, Gabrielle et Géraldine, de 16 ans ! Deux filles de 16 ans qui disent des choses d’une profondeur… ces gens là sont merveilleux Cécile, et heureux et gais. Quand je me regarde moi… Je suis désolée Cécile… je suis une emmerdeuse.

-Ben… j’avoue que je ne sais pas quoi te dire là. Je suis sur le cul. Ils t’ont dit quoi les mystiques, là ? Que tu allais rencontrer le bon Dieu demain matin ? Ou bien qu’il était au fond du verre de vin ?

-Ce n’est pas loin de ça Cécile. L’abbé… il a lu en moi. Il m’a dit des choses sur moi que je savais sans les reconnaitre, tu comprends ?

-Bof, pas trop. Tu m’as l’air quand même un peu planante. Moi aussi d’ailleurs.

-Le vin n’est pas seulement de l’alcool Cécile… c’est de l’amour, c’est un miracle : du jus de fruit issu de la terre, transformé par des mains humaines pour donner… l’éveil des perceptions !

-Ah oui quand même…

-Moque toi ! Tu sais quoi ? Je suis mal dans ma peau. Pourtant, je ne dois pas avoir peur du plaisir, du désir, que ce soit avec une bouteille de vin ou… autre chose. Résister à ce qu’on est, c’est là le problème. Un jour ou l’autre, ça te rattrape et tu chutes : dans l’alcool, le tabac, la drogue ou pire, des drogues légales et prescrites dans un cabinet…

-Certes. Mais je ne pige rien. J’ai une envie folle de rire et de chanter. Pas de philosopher à pas cher.

-Tu as raison. Ca aussi Géraldine me l’a dit. Il y a un temps pour tout.

Sandrine posa son verre puis planta ses yeux dans ceux de son amie. La petite voix au fond de Cécile souffla dans une conque. En vain. La roue tournait maintenant. Des fois, vous avez le choix mais ce doit être rapide. C’est le blanc ou le noir, et ça doit tomber en une fraction de seconde. Mais des fois, il fait tellement sombre, qu’on ne distingue rien et il faut sauter quand même.

Les lèvres de son amie étaient si douces… si douces et ses yeux si profonds.

Un verre de Morgon.

De ce moment, la chute ou la remontée dans les eaux chaudes de la surface s’accéléra. Le fond avait été atteint. Et oui, ce fut un rêve. Un beau rêve. Presque jusqu’à la fin. Les rêves se paient. Un petit cauchemar, c’est une obole bien faible.

Sandrine commença à la déshabiller et à couvrir sa peau de baisers : la bouche, le cou, les seins, plus bas, toujours plus bas. Cécile découvrit des rivages à peine imaginés. Ses yeux voyageaient dans la salle, dans les bois. La salle était maintenant le lieu d’une bacchanale, d’un pandémonium de corps entrelacés, imbriqués, mélangés. Comment en était-on venu à une telle orgie en quelques secondes ? Le temps s’écoulait-il encore logiquement ? L’abbé Gaspard oubliait désormais ses vœux de chasteté dans les bras de Roseline. Le jeune couple s’était séparé. Le mari s’affairant auprès du Docteur et Laetitia (si tel était son nom) partageant les deux ados (Géraldine, l’une d’elle était Géraldine) avec un grand homme aux cheveux noirs, sur la table parmi les plats pleins de restes de sauce figée et de verres renversés.

Au-delà, au sein de la forêt, des créatures grouillaient et froufroutaient, feulaient et rugissaient. Des créatures qui n’avaient ni le bon nombres de pattes, ni le minimum syndical de paires d’yeux. Cécile préféra fermer les yeux et se laisser aller au plaisir. Elle sentit un instant la fusion qu’elle ressentait avec Sandrine se brouiller.

Cécile ouvrit les yeux et il fut là. Vue imprenable sur deux puits gris et bleus, tristes et purs, un peu froids aussi. Il la regardait en souriant.

-Vous avez fait votre choix désormais.

Il s’occupa de Sandrine d’abord, fixant Cécile d’un regard de fou, mais rien que ce regard plongé au fond de ses secrets, semblait à Cécile relever de l’acte le plus intime et le plus bestial qui soit. Rien que ses yeux.

Cécile avait lâché prise depuis longtemps. Elle ne sentait plus ni le banc sous elle, ni le sol sous ses pieds. Il n’y avait plus ni haut ni bas, ni paroles ni silences. Elle distingua à peine Sandrine qui s’écroulait sur le sol, peut-être morte, probablement.

Elle sourit et probablement ce sourire, dément, dépassa-t’il les limites de son visage alors que Mathieu s’avançait pour enfin venir à elle, pour enfin… Cécile se rendit compte que sa vue sur la scène prenait un angle grotesque, obscène. Elle comprit qu’elle quittait son corps, qu’elle flottait dans la salle à manger de l’auberge. Pourtant, elle entendait Mathieu. Elle le sentait. Et c’était un délice douloureux à moins que ce ne fut une douleur délicieuse, quelque chose d’inoubliable et de transcendant.

Autre chose, bien au-delà du charnel, du sexe, du plaisir. Quelque chose de froid, de glacé, de triste. Quelque chose de mort depuis bien longtemps. A la fin, avait-il dit, ce serait peut-être un cauchemar, mis à la fin seulement. Cécile flottait et voyait ce ridicule et répugnant opéra bouffe de corps enchevêtrés et en même temps elle plongeait directement son regard au fond des yeux d’argent… des yeux dont la pupille maintenant se réduisait à une fente horizontale. Et ce n’était pas tout. Un peu cauchemardesque mais juste sur la fin… Avant de passer de l’autre côté.

Mathieu avait maintenant des cornes. Il n’avait plus de jambes mais des pattes velues et des sabots. Et c’était si glacé. Si insupportable. Tellement bon. La fin approchait. Tout. De plus en plus lointain, étouffé, brumeux, lumineux et sombre, ombres et lumières.

L’éther.

Heureusement. Par Dieu heureusement.

A la fin, un petit cauchemar. La créature qui lui faisait l’amour encore et encore et encore, poussant douleur et plaisir si loin, si.. trop… Le curé dont la soutane mitée était couverte de mousse et de lichens, tombant en lambeaux, laissant voir un corps décharné et purulent. Géraldine, aux membres tordus en des angles improbables, des chicots jaunâtres garnissant ses gencives pourries, le docteur, la moitié du crâne à vif et un œil pendant de son orbite, et Roseline, la gentille Roseline, corps flasque et vomissant vers et carabes. Une congrégation de cadavres jouissant des artifices de la nuit. Et dans un ultime hurlement de silence avant la fin, Cécile vit la créature velue sortir une langue énorme, grise et glaireuse et la lui passer sur le visage, avant mon Dieu, de l’enfoncer… et le cri, le cri enfin, put éclater, sortir de l’inaudible, tout emplir… Mais la langue mon Dieu la langue…

 

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13 novembre 2010 6 13 /11 /novembre /2010 08:10

L’essaim des Saints

 

Saint Brice, les burnes à Nice. Mais c’est aussi la Saint Abbon, et moi aussi, j’ai bon. Mais surtout, c’est la Saint Homobon. Ben Tu vois André-Machin, que les homos c’est pas forcément méchant !

 

L’aigreur du jour : Quand le vendredi 13 tombe un samedi !

 

Comme je vous l’ai rapporté hier, je subis d’énormes pressions politiques pour passer sous silence, non seulement le sujet vaseux de la côte belge, de Flandres pardon, mais aussi, c’est un scoop, celui de l’armistice. Cette censure est le signe infaillible de la force de leaders d’opinion qu’acquièrent mes écrits. Pensez donc, le jour où les 25 lecteurs quotidiens de mes divagations descendront massivement dans la rue, le pouvoir inique vacillera sur ses bases. Popo futal les ministres !

J’attendrai donc le dimanche 14, jour où les forces politiques du pays seront trop occupées à se mettre dessus sur les plateaux télés pour jeter un pavé dans la mare de sang de la grande guerre qui ne mérite décidément pas de majuscules.

Aujourd’hui, pas de chance, le vendredi 13 tombe un samedi et c’est dommage. Il n’y a pas de super-cagnotte au lotto et les cons n’enferment pas leur chat noir dans un panier pour qu’il ne passe pas sous une échelle à défaut d’une Audi A4 lancée en trombe dans les rues du village, encombrées accessoirement de nos bambins dodus, au mépris de la loi ou du bon sens. Ce qui fait qu’il y a encore plus de saloperies miaulantes empapaoutant mes plates-bandes un samedi 13 qu’un vendredi 12. Ca ne m’empêchera pas, ce soir à minuit, comme tout samedi à minuit, d’en choper un, de l’ébouillanter longuement et un à un, de m’enfourner tous ses os nettoyés dans la bouche, devant un miroir, jusqu’à y voir mon reflet disparaître. Je me demande cependant si l’os magique ne se dissout pas à la cuisson, car en 120 chats, je n’ai pas encore découvert l’invisibilité (authentique tour de Sorcier wallon).

Bref, en fait, j’aime quand le vendredi 13 tombe un lundi, un mardi, un mercredi, un jeudi, un samedi ou un dimanche parce que ces vendredis 13 là, on ne nous sert pas les conneries habituelles sur les vendredis 13. Déjà que les superstitieux ne s’accordent pas sur le fait que ça porte chance ou malchance ! Il faudra qu’ils se mettent d’accord pourtant. C’est l’un ou l’autre. Tout ça, c’est une question d’astres. Et les astres ça chipote pas. Avec eux, blanc c’est blanc et noir, il n’y a plus d’espoir. C’est que c’est bourrin et têtu une planète. Ne dit-on pas être con comme la lune ?

 

Cela dit, je ne veux pas me pavaner, mais je pense que les hideux de mars ne seront pas jolis en 2011.

 

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12 novembre 2010 5 12 /11 /novembre /2010 07:57

 

L’essaim des Saints.

 

Saint Christian, mouais. MAIS, Aujourd’hui Saint Principin campe dessus. Saint Péreuse a la pétoche et moi, je reprendrai bien un peu de Saint Livin. Et Sainte Nathalène, de mouton, puait du bec.

 

"A la Sainte Nathalène, le vent souffle comme vache qui pisse à en perdre ta petite laine."

Proverbe letton.

 

L’aigreur du jour: La langue à Vondel.

 

Il y a des jours où je me tords le clavier pour en faire sortir quelque chose. Et puis il y en d’autres où l’actualité me souffle cent sujets. Oui cher lecteur, au cas où tes moyens intellectuels, faibles puisque tu me lis, ne t’auraient pas permis de le subodorer, j’essaie plus ou moins de coller à l’actualité dans cette rubrique quotidienne. Bon, bref. Que je ne t’y reprenne plus !

Et donc en ce 12 novembre, l’actualité souffle et le vent aussi. Enfin hier, pendant la nuit et encore ce matin. Mais en même temps, hier c’était l’armistice de la Grande et j’ai donc pondu un billet sur Saint Martin puisque le 11, c’était la fête de ce grand Saint des amateurs de traditionalisme roboratif (vous savez qui m’a appris le mot roboratif ? C’est pompon dans la classe ! Ah Civilisation !). Mais demain, le vendredi 13 tombe un samedi. Ca valait bien un billet aussi.

Et donc, logiquement, nous n’évoquerons que Dimanche 14 la guerre de 14. Comment ça vous décrochez ? Pffff… à force de regarder Secret Story plutôt qu’ARTE…

Bon, et donc comme le vent souffle fort, j’évoquerai aujourd’hui la côte belge battue par les vents et demain le vendredi 13. Ah… je m’arrête un instant, le téléphone sonne.

Bon, désolé, c’était Eric Van Rompuy. Vous savez, le frère du poète Nippo-fonctionnaire européen. Mais oui cet homme affable, comme Philippe Lafontaine, un petit type nippon ni mauvais qui se fait traiter de serpillière sans broncher !

Son frangin Eric, par contre, n’a ni une tête de poète ni une bouille de comique troupier. Et s’il y a bien un truc qu’il ne supporte pas, Eric, ce sont les traits d’esprit ciblant la côte belge. Déjà que lui, si tu appelles ça autrement que Vlaamse kust, il te pond un gros caca nerveux…

Le regretté humoriste belge, Philippe Geluck, en sait quelque chose. Lui qui, pour une fois, était revenu d’entre les Français sur un plateau de télé belge, n’a pas raté son retour.

"Non mais, me disait Eric au téléphone il y a cinq minutes, que ce grandiveux fransquilloniste moque les handicapés, les furonculosés et les Tamouls protestant unijambistes est une chose, qu’il la ramène à propos de la Vlaamse kust en est une autre, inadmissible au wooncode, allez hein fieu !"

Eric , au téléphone, me postillonnait de rage dans l’oreille, tellement que j’en suis encore à m’appliquer un sèche-cheveux dans le conduit. (Attention les enfants, c’est une image. N’essayez pas ça chez vous).

Le monsieur véhément me menaçait carrément d’un procès si j’évoquais ici mes souvenirs venteux de côte belge. Prout alors, là où l’esprit caustique serait une si élégante réponse, le con de base pense justice. Déjà que d’après lui, j’aurais une légère tendance à me foutre de la langue de Vondel.

Alors là, je dis stop. Déjà que moi, Joost (ça quand tu t'appelles Joost Van de Vondel, t'es pas de Marseille), je ne sais pas trop ce qu’il a écrit, ce traitre de converti. Et puis c’est une expression à la con aussi débile que "langue de Molière". La langue de Molière. Bon d’accord, ce n’est peut-être pas tout à fait la même que celle de Michael Youn, ou dans un autre registre que celle de Marine Le Pen, mais bon, c’est du français, hein.

Je n’ai pas plus de raisons de me gausser de la langue de Vondel que de celle d’Axelle Red, fort jolie d’ailleurs ou de celle d’Arno, fort rocailleuse par ailleurs, comme la mélodie du ressac sur une grève venteuse d’Ecosse. Pas plus que des langues de Scala ou de Laïs, si harmonieuses ou encore de la langue, fort capable elle aussi, de Geike Arnaert d’Hooverphonic.

Ces langues si poétiques et douces à l’oreille n’ont rien à voir avec la vôtre, M. Van Rompuy, pas plus qu’avec celles de vos collègues politiques. Cette langue là est bien trop chargée de lieux communs, de mensonges commodes, de raccourcis historiques, d’égoïsme électoral et de balivernes partisanes. Cette langue-là et ses locuteurs, mon bon Monsieur, je les conchie allègrement.

Mais au final, vil censeur réfrigérant, vous atteignez votre but : me museler au sujet de la côte belge. La place que j’impartis fermement à ces rubriques quotidiennes étant largement dépassée.

Je ne parlerai donc pas aujourd’hui de cet horrible cordon d’immeubles miteux ou criards que vous avez eu l’outrecuidance de noyer sous la marée de votre flamingantisme primaire.

On y reviendra mardi, en espérant qu’il y ait encore du vent pour rester dans un souci d’actualité, sinon tant pis (suivez un peu merde !). Mais n’ayez crainte, vu votre totale absence d’humour, il est à parier que vous bisquiez encore demain avec l’armistice, dimanche avec le vendredi 13 qui tombe un samedi à moins que je n’écrive le billet du dimanche le samedi et vice versa. Et lundi bisque repetita, mon bon Homard : c’est la fête du Roi des Belges. Fourons Wallons !

 

Et c’est pas pour faire rien qu’à dire, mais vu le temps qu’il fait, j’ai bien l’impression que les Ides de mars sont remises aux calendes grecques.

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11 novembre 2010 4 11 /11 /novembre /2010 09:12

 

Le grand nord

Episode 1

 

Episode 2 

 

La Chapelle : Episode 3

 

Le prêtre s’arrêta sur le perron de la chapelle et releva la tête. Cécile ressenti un bref moment d’angoisse mais le curé leur fit signe de la main. Elle vit alors que si les gens portaient de chaudes capes ou d’épaisses vestes de cuir cirées, c’étaient bien des chapeaux et des bonnets "normaux" qui protégeaient leurs idées du froid. Si on ne voyait pas leurs jambes, c’est parce qu’ils marchaient dans une tranchée tracée dans la neige entre la chapelle et l’autre bâtiment. Tout le groupe s’était arrêté et les observait. Le curé quitta la tranchée pour la neige franche et vint à leur rencontre, accompagné par deux hommes, un jeune de haute stature et un monsieur d’âge plus mûr.

-Mais mes filles qu’est-ce…

-Mon père, coupa Cécile, vous ne pouvez pas savoir… Vous ne pouvez pas… Nous sommes gelées… Perdues dans la tempête… On devrait… Bévercé.. prévenir… Pourrions nous… Un abri. Cécile surprise elle-même de son charabia se tut. Le curé la prit par les épaules.

-Calmez-vous mon enfant, je crois qu’un bon feu vous sera utile. Vous nous raconterez vos aventures à l’intérieur, devant un bon bol de soupe. Trop froid pour rester à papoter dehors.

-Vous avez raison l’abbé reprit le jeune homme, nos nez vont nous chuter dans les souliers !

Enfin soutenues par des gens, des inconnus mais des gens, les deux filles purent rejoindre la chaleur et la lumière. Sandrine s’écroula. Cécile s’affala. Le prêtre agit vite et efficacement, donnant les ordres et les consignes nécessaires. Dix minutes après leur entrée fracassante, les deux randonneuses téméraires étaient vautrées sous d’épaisses couvertures, devant une flambée digne d’une soirée de chasse, un bol fumant de soupe aux potirons entre les mains, soupe apportée par une dame qui devait frôler la cinquantaine et que Cécile crut d’abord habillée à la mode d’un siècle révolu depuis longtemps mais qui en fait portait un grand tablier bleu, une petite replète, aux joues carminées de fils de bonne chère. Elles grelottaient encore, stupidement, aussi automatiquement qu’une huître qui frémit sous un zeste de citron.

Une belle femme blonde d’une quarantaine d’année, dont on devinait le petit de et l’aisance financière, rien qu’aux commissures de ses lèvres, voulait les presser de questions.

Le prêtre l’admonesta.

-Solange ! Laissez ces filles se reprendre. Laissez à la soupe le temps de faire son effet.

-Et puis, Solange, reprit le grand jeune homme : allez donc faire quelques kilomètres dans la neige, vous aurez réponse à toutes vos interrogations.

Quelques personnes s’esclaffèrent et un silence complice flotta quelques secondes.

Cécile observait ces vieux amis qui semblaient se côtoyer depuis une éternité, une bonne vingtaine de personnes de tous âges, de l’adolescence à la retraite bien consommée. Son regard traina plus qu’elle ne l’aurait voulu sur le grand jeune homme. Etrangement, même en y repensant après cette nuit, elle ne parvint jamais à le décrire physiquement. Il semblait beau, bâti comme un de ces sportifs des Universités américaines, au cinéma en tout cas. Paradoxalement elle ne put jamais se rappeler de la couleur de ses cheveux. Seuls ses yeux comptaient. Immenses, de couleur

(lune et argent)

grise…

Yeux-d’argent (quelle bête image pensait Cécile, mais elle s’imposait néanmoins avec une force bovine à son esprit), qui pourtant ne semblait plus faire attention à elles se retrouva tout à coup à leur côté. Sa voix profonde et chaude, plutôt enjôleuse, coupa net les conversations de l’assemblée.

-Je ferais bien les présentations mesdemoiselles, mais je me demande si ce ne serait pas laborieux. La soupe et le feu sont plus à propos non ?

-Ca va mieux maintenant, répondit Cécile alors que Sandrine regardait, béate, son bol, semblant se demander si la brasse était plus appropriée que le crawl pour la traversée.

-Et qu’est-ce qui amène deux jeunes filles au Brigands Fayis par une nuit de Saint Valentin ?

-Leur orgueil. Je crois. Nous voulions rejoindre l’auberge de jeunesse de Bévercé à pied, depuis Eupen. Nous avions une réunion de guides, ce soir. Mais la neige…

-Vous a surpris… Un peu orgueilleux en effet pour de bonnes croyantes. Surtout que vous n’êtes pas du tout en direction de Malmédy, mais plutôt dans celle de Spa. Ce n’est pas étonnant vu le blizzard. Cela dit et sans vous commander, ce n’est pas avec une soupe que vous remonterez la pente . Ca ne vous chasse pas la froidure des tripes un bouillon.

Disant cela, il regardait Sandrine qui semblait toujours amorphe même si moins grise qu’à son arrivée. Il faisait chaud, accueillant et surtout de baveuses senteurs de bonne boustifaille roborative chatouillaient les muqueuses de Cécile.

-Surtout celui de onze heures de Christine, marmonna l’homme grisonnant qui avait avancé à leur rencontre dehors, avec le prêtre et Yeux d’argent (arrêtes avec ça ma fille !), un type que les autres appelaient Docteur.

- Qu’on leur serve plutôt une goutte. Docteur, votre petite eau-de-feu des Vosges là !

- Merci, mais la soupe est très bonne et nous ne buvons jamais d’alcool, reprit Cécile.

- Que voilà de vertueuses jeunes filles ! Vous ferez bien une exception si le Docteur vous le prescrit.

-Non, merci ! Ce n’est pas un crime de ne pas picoler, non, intervint rudement une Sandrine soudain revenue à la vie à la simple mention du mot alcool.

Pour elle, c’était plus qu’un principe, c’était une gravure dans le marbre. Et sa réponse sèche avait mit Yeux-d’argent dans ses petits souliers. Il ne souriait plus.

Cécile l’observait. Elle jura qu’il enrageait et qu’il avait du mal à se contenir. Ca ne dura qu’une fraction de seconde puis son sourire de "fouteu d’jins" comme aurait dit sa Grand-Mère tournaisienne revint. Comme Cécile pensait de nouveau à ses yeux, il s’agenouilla près d’elle et dit de but en blanc :

-Je ne désire pas vous obligez mesdemoiselles. Libre arbitre, toujours ! Même si je ne comprends guère cet hygiénisme forcené.

-Je m’excuse d’avoir réagi un peu… sèchement, reprit Sandrine, mais… la fatigue. Et puis, ça m’énerve de devoir justifier mes opinions chaque fois qu’il y a une fête. Je ne bois pas d’alcool, mes parents non plus. Il nous semble qu’il y a quand même assez d’études qui montrent que la consommation d’alcool est nocive et que…

-Oh là, oh là, on va stopper là voulez-vous ? Yeux-d’argent retrouva son sourire de marchand de tapis. Cécile se disait ça mais en même temps… Elle aurait voulu lui en acheter un de tapis. Elle se sentit rougir, comment pouvait-elle… Comme si Yeux d’argent l’avait entendu penser il se tourna vers elle de but en blanc :

-Je suis Mathieu de Lontzen, homme plein de richesses surprenantes et homme de goût, enfin je l’espère. Je fais moi aussi partie de cette chorale mais j’avoue que c’est surtout pour les bonnes bouteilles qu’on vide après les messes ! Et vous êtes…

Cécile resta interdite pendant un moment devant cette présentation loufoque de grande gueule mais aussi ressentant un titillement plutôt déplacé de son point de vue pour ce petit de, espérant que ce petit con prétentieux ne percevait pas son trouble. Mais bien sûr que si qu’il le percevait. Monsieur de Lontzen était un de ces petits péteux qui se délectaient et provoquaient ce genre de trouble chez les jeunes filles. C’est Sandrine, peu amène, qui reprit le flambeau de la conversation, expliquant leur périple, leur désir de rejoindre Bévercé, insistant bien sur l’aspect veillée de prière de la soirée et "épreuve de la foi" de leur randonnée. Elle termina en sortant son portable de son sac à dos posé à sécher face au feu.

Sans aucun doute, Sandrine avait récupéré ses moyens, l’essentiel en tout cas. Pour Sandrine, les choses étaient claires : boire de l’alcool, de la bière et du vin surtout, était réservé aux faibles, sauf que quand elle était suffisamment remontée, elle disait "baraki". Les mêmes barakis qui ne parlaient de la gent féminine qu’en terme de paires et de chattes, dont l’essentiel de l’activité intellectuelle était tournée vers des troupes de 22 débiles courant après un ballon. Les mêmes barakis qui l’appelaient madame Sainte qui s’touche, ou Sœur Frigidaire.

Bien sûr, l’aspect hygiéniste était un paravent plus en accord avec l’évangile que le simple mépris de ses contemporains. Et en dernière extrémité, c’était tout de même mieux que de se retrancher derrière des principes que d’avouer que son père était un alcoolique, abstinent depuis dix ans, mais un alcoolique qui s’était pissé régulièrement dessus, avant de montrer son système à qui y trouvait à redire, et ce pendant des années. Il n’y avait qu’une chose plus répugnante que la picole pour Sandrine, c’était la cigarette. Et là, pas d’explication lumineuse de simplicité à rechercher dans l’enfance, c’était une aversion. Point. Comme les araignées ou les serpents pour d’autres. Et une chose frappa Cécile alors qu’elle ressassait tout cela, personne ne fumait dans cette assemblée de bons vivants. Ce qui était assez incongru, mais heureux, car tempête ou pas, Cécile était sûre que Sandrine aurait pris ses cliques et ses claques et serait partie sans refermer la porte si l’air avait contenu la moindre particule de fumée tabagique. Sandrine était folle parfois .

-Il est temps d’appeler l’auberge de jeunesse pour leur signaler notre présence. Je vous remercie tous pour votre hospitalité mais on ne va pas vous encombrer longtemps. Ils vont probablement envoyer quelqu’un nous chercher. Enfin j’espère.

-Mademoiselle, je ne veux pas vous inquiétez, intervint le docteur, mais ici, les portables… et puis l’accès… Nous sommes comme qui dirait bloqués jusque demain matin au moins.

Sandrine, le regardant come s’il débarquait de Pluton, composa le numéro dans un genre cause toujours tu m’intéresses.

-Les portables ne passent déjà pas bien en temps normal alors avec la tempête… reprit de Lontzen

Sandrine n’obtint même pas de tonalité, pas même un grésillement. Cécile voyait l’expression de son visage qui se renfrognait. Elle même commençait à revoir le bout du nez de Miss panique. Rester ici, avec des inconnus pour lesquels elles commençaient à ressentir un étrange sentiment de sympathie et de méfiance sans pouvoir appeler personne, et ce, pendant combien d’heures encore ? D’abord, il y avait eu cette vision dérangeante de gens surgis d’un passé lointain flottant comme des spectres sur la neige. Puis il y avait cet endroit, en plein milieu des bois, même pas au bout d’un village ou d’un hameau. Enfin, il y avait le fait qu’aucun véhicule n’était visible dehors. Aucun convive ne téléphonait. C’est comme si la tempête les avait enfermés dans une bulle. Une bulle où il n’y avait aucun moyen qu’on les entende. Appeler au secours par exemple.

Une fois de plus Mathieu de Lontzen intervint fort à propos, comme si Cécile avait pensé à voix haute.

(De bonnes croyantes… il nous a décrites comme de bonnes croyantes avant même que nous ayons dit un mot…)

-Et pas de fixe non plus à l’auberge mesdemoiselles. Et comble de malchance, la neige a recommencé à chuter dru. Vous voici coincées avec nous à l’auberge jusqu’à demain. Obligées, je le crains, de partager la pitance d’une bande de mécréants assez stupides pour se ruiner la santé avec de l’alcool, et pire… du vin ! Mais n’oubliez pas non plus que nous sommes une chorale dédiée à Saint Roch et qu’un prêtre est parmi nous. Vous ne devriez donc courir aucun risque.

Mathieu de Lontzen était du genre fortiche quant à ce qui était d’utiliser sa voix. Cécile ne savait pas trop comment il avait fait, ni si c’était son intonation, son visage ou les mots eux-mêmes, mais ses reproches la faisait se sentir à peu près aussi fière qu’une crotte de chien délavée par la pluie. Sandrine elle-même ressemblait tout à coup beaucoup moins à une militante de la ligue anti-alcool de base. Le prêtre, le Docteur et une jeune fille qui ne devait pas avoir plus de seize ans s’étaient approchés et les regardaient toutes les deux d’un air désolé. Sandrine rangea lentement son portable.

-Mais, on va s’inquiéter pour nous…

-J’en suis bien conscient mademoiselle, dit le prêtre mais… je crains fort que les circonstances soient exceptionnelles. La tempête dehors… Vous devriez simplement remercier le Seigneur d’être encore en vie. C’est déjà un petit miracle cette accalmie alors que vous étiez près de la chapelle…

-Et vous remercier d’avoir été là mon père, reprit Cécile, tout en adressant un regard sans appel à sa compagne de route. Je m’excuse si… Nous vous remercions et c’est vraiment avec plaisir que nous partagerons votre compagnie ce soir. Si vous voulez bien de nous du moins.

-On n’a pas tellement le choix mesdemoiselles, à moins de vouloir vous tuer en vous mettant à la porte !

-Mathieu !

-Désolé Monsieur le Curé.

-Ce n’est rien, répondit Cécile, mais vous êtes sûrs ?

-Evidemment, que ces goujats sont sûrs, c’était la petite bonne femme de la soupe. Et puis c’est moi qui ai préparé le repas..

-Et moi…, intervint madame commissure noble.

-Oui, avec madame la Baronne qui a…

-Ajouté le persil aux sauces, reprit Mathieu faisant rire grassement l’assemblée de vingt trublions qui observait la scène, la plupart rassemblés autour d’une énorme, gargantuesque tablée en chêne massif, un truc qui devait dater et qu’il ne devait plus être possible de refaire de nos jours, pensa Cécile, les autres observant la neige qui tombait par les fenêtres ou encore calés à un coin ou un autre de l’âtre.

-Bref, c’est moi qui ai cuisiné et fait les chambres, alors envoyez paître ces vieilles badernes et restez mesdemoiselles… et si vous voulez encore un bol de soupe, c’est maintenant ou jamais parce qu’on va bientôt passer à table pour la suite des hostilités.

-Roseline ! gronda le curé en rigolant. C’est notre "bonne du curé", elle a un sacré caractère, mais elle prépare le civet de biche… vous allez voir ce que vous allez voir. À moins que … vous n’êtes pas végétariennes ?

-En plus de toutes vos autres tares…

-Ca suffit Mathieu ! Alors, vous … vous mangez du gibier ? Sinon, Roseline peut vite vous faire quelques œufs !

-Ne vous inquiétez pas mon père, nous allons dévorer, je pense que vous allez nous jeter dehors ! N’est-ce-pas Sandrine ?

-Evidemment.

-La cause est entendue alors. Nous nous serrerons pour vous laisser une chambre de libre et une place à table ! Roseline, vous voudrez bien accompagner ces demoiselles ?

Et ma foi, Roseline voulut bien. La ferme n’était plus une ferme depuis longtemps, si elle l’avait jamais été d’ailleurs, Roseline n’en savait rien. Depuis le 16ème siècle au moins, c’était pour tous les gens de la région l’auberge des Brigands Fayis. Elle flanquait une antique chapelle dédiée à Saint Roch qui voyait défiler nombre de pèlerins. Il fallait bien les loger. Quant au nom du lieu dit, il venait du fait qu’au Moyen Âge ou encore avant, les six hêtres qui s’élevaient à l’antique carrefour de voies romaines qui passaient ici, servaient de lieu de justice et de gibet, la justice en ces temps là étant légèrement plus expéditive que les atermoiements actuels. Cécile sourit. Roseline, bien qu’elle semblât être une fille de ferme un peu rude, avait dit "atermoiement" et pas foutoir, gros bordel ou tout autre terme qui aurait convenu aux errements judiciaires contemporains. Et Cécile aimait ce trait chez ces gens. Ils utilisaient un langage que le plupart de leurs contemporains ne maitrisaient plus. Et une des raisons pour lesquelles Cécile fréquentait Dieu et sa jeunesse militante tenait justement au fait qu’on y rencontrait plus qu’ailleurs des jeunes à l’âme un peu élevée qui se trouvaient capables de parler d’autre chose que du dernier tube de Shakira en la trouvant qui "trop bonne" qui "trop de la balle". Même si, chaque fois que ce genre de pensée arrivait jusqu’à sa conscience, Cécile se disait aussi qu’elle n’était décidément qu’une minuscule bourgeoise, élitiste et un peu péteuse sur les bords, voire au milieu. Mais peu importe, tandis qu’elle aidait Roseline à faire les lits et que Sandrine enfilait en silence des vêtements propres, Cécile se sentait pleine de joie si pas de grâce. Elle se réjouissait de passer la soirée avec ces gens et de partager leur repas. La chambre sentait le feu de bois, l’ancienneté mais aussi les draps propres et douillets. Comme Roseline faisait silence, Cécile l’interrogea, tout en changeant de vêtements à son tour. Elle sentait le regard de la bonne qui jaugeait son corps. Pour ne pas avoir le loisir de trouver ça plus dérangeant ou bien pour ne pas trouver ça flatteur, elle interrogea la femme.

-Ce serait indiscret de vous demander ce que vous faites tous ici ?

-Oh ! c’est une très longue histoire. Nous venons tous de différentes paroisses des environs. Moi, je suis de Solwaster. Monsieur le curé, de Sart-Lez-Spa. Tous nous avons fait partie de chorales dans nos paroisses respectives et nous étions tous très impliqués dans leurs vies à ces paroisses. Mais disons que… comment vous dire… Nous ne nous sommes pas fâchés avec Dieu si vous voulez, mais plutôt avec la manière dont on le vénère... mal. Bref, comme aucun de nous ne nous sentions à l’aise dans nos communautés, Monsieur le curé, qui connaissait quelques-uns d’entre nous, a décidé de fonder une chorale. Le bouche à oreille nous a ensuite tous rassemblés. Et tout naturellement, grâce aux conseils de Monsieur le Curé mais surtout grâce à Mathieu, dont la famille possède encore le terrain et l’auberge, nous avons atterri ici. C’est un lieu si ancien, si vous saviez… Un lieu qui avait besoin de nous comme nous avions besoin de lui, je crois. La chapelle commençait à tomber en ruines. L’auberge n’était plus fréquentée que par des écureuils. Nous avons tout rebâti de nos mains, vous savez. Mais ça en valait la peine. Nous nous réunissons ici pour célébrer le culte, chanter, parler, nous recueillir mais surtout pour fêter la vie qui est si belle. On vient ici à pied, en partant de Solwaster. On chante et on dit une messe et puis on prend un bon repas.

-Excusez-moi, intervint Sandrine, mais que vouliez-vous dire par "on était fâché avec la manière dont on vénérait Dieu" ?

-Bien, sauf, votre respect mademoiselle, vous devez bien le savoir non ? Je parle de la manière dont VOUS voyez la religion également, toutes les deux.

Les deux filles accusèrent le coup et la douce torpeur qui envahissait Cécile s’évanouit d’un coup. Ce fut un court mais étrange sentiment, comme si on l’avait giflée.

-Que… où est le problème, balbutia une Sandrine que Cécile n’avait pas vu autant dans ses petits souliers depuis longtemps.

-Le problème c’est de voir le mal où il est et pas ailleurs. Il n’est ni dans l’amour, ni dans la joie, ni dans les rires, ni dans la beauté.

-Et alors ? Je suis d’accord avec ça ! dit Sandrine.

Roseline, dans la lueur vacillante de l’unique bougie qui éclairait la pièce se tint immobile, les clouant du regard quelques secondes qui parurent une semaine aux deux filles qui se demandaient quand elles avaient pour la dernière fois rencontrer une petite bonne femme aussi décidée. Mais rien ne pouvait les préparer à ce que leur dit à ce moment la "bonne du curé", surtout Cécile qui eut l’impression qu’on lui ouvrait le crâne pour lire à l’intérieur.

-Et alors jeunes filles ? Vivre de certitudes définitives n’est pas suivre les voies divines. Se gausser de la gouaille un peu crasse de ses camarades de classe pour leur préférer de jeunes bourgeoises pleines de foi et de préjugés non plus. Et si vous croyez que c’est en buvant de l’eau bénite pour des principes raides comme un col amidonné, en méprisant ceux qui "chutent" que vous conserverez la pureté de votre âme… alors vous ne savez pas ce qu’est une âme. Comme dirait Mathieu, qui a une âme magnifique pour qui ne s’arrête pas à ses beaux yeux gris, "il y a plus de divin dans un baraki qui rit que dans un bigot qui serre les fesses".

Voyant les deux filles virer au gris, Roseline passa du mode justice divine au mode petite replète amatrice de cassoulet en une déconcertante fraction de seconde. Eclatant aux éclats elle sortit de la pièce puis repassa la tête par l’embrasure.

-Allez, les filles, fi de théologie de soubrette, ne faites pas cette tête, vous êtes belles, intelligentes jeunes… vous avez la vie pour rire, mais juste une soirée pour découvrir mon civet de biche. Finissez de vous habiller et rejoignez-nous. C’est la saint Valentin que Diable ! Fêtons l’amour !

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11 novembre 2010 4 11 /11 /novembre /2010 08:27

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L’essaim des Saints

 

Saint Martin.

Bon. Je vous vois venir au tournant. Mais que nenni mes gougnafiers irréductibles. Point de gouaille facile d’oryctérope baveux à propos de ce Grand Saint, autant patron de Touraine que des vignes qui y poussent. On ne se rit pas d’un homme qui poussa les pourceaux latinisants qu’étaient nos ancêtres (enfin, nos… pas les miens, mais ceux des tourangeaux, fichtre !) à boire autre chose que l’eau de la Loire ou que de l’hydromel frelaté parfumé à l’essence de glande de biche.

Martin de Tours, "Français" d'origine Hongroise (vers 316), ça ne vous rappelle personne ? Si je vous dis qu'on le nommait aussi Martin le Miséricordieux, bon, là, ça ne vous rappelle vraiment plus personne.

Et appliquons en ce jour ce dicton :

"A la Saint Martin, c’est du ch’nin ou c’est rien. "

Je vais donc me mettre en demeure d’ouvrir un séduisant demi-sec des hauteurs de Montlouis ou de l’adorable village de Saint-Martin-le-Beau ou encore une petite pépite de Savennières.

Au fait lecteur autant béat qu’inculte (je parie même que tu regardes Tf1 à tes heures perdues, rassure-toi, moi aussi), te sait-il d’où vient ce qualificatif de beau au village de Saint-Martin ?

Non, non, espèce d’ornithorynque ambidextre, ce n’est pas parce que Saint Martin avait pour habitude d’y exhiber sa lune montante aux membres ascendants de la paroisse…

Cela remonte à 903, époque amusante mais un peu trouble, où les terribles hommes du nord, qui de nos jours ont l’audace de décerner des Prix Nobels paisibles à des repris de justice chinois ou bien de distiller des pommes dans le Calvados, où les terribles blondinets agressifs de Scandinavie donc, faisaient rien qu’à venir dans nos campagnes, mugir dans nos compagnes, s’abreuver de houblon et gagner des microsillons à l’Eurovision. Car ces polissons cornus tenaient de biens étranges coutumes festives de leurs ancêtres mangeurs d’hommes : se baladant dans des yachts à tête de dragon, pillant châteaux et monastères, culbutant moines et bougresses car ces esprits rudes ne différenciaient pas jupette et soutane, et semant au vent des bâtards rouquins intempestifs (non ça ne veut pas dire que les roux sentent), avec les bougresses surtout, moins avec les moines.

Et donc, voici qu’en 903, les trublions remontent la Loire pour faire le tour de Tours. C’est d’ailleurs de cette expédition que datent les mots historiques d’Eric le Rouge "Hé, t’habites à combien de kilomètres de Tours", citation probablement apocryphe, parce qu’en fait il aurait dit lieue et ça, c’est moins rigolo pour quelqu’un farouchement fidèle au système métrique.

Là-dessus, les habitants de Tours, ayant en horreur l’élevage de rouquins, passez-moi l’expression, font dans leur culotte. La bataille éclate, ainsi que quelques carotides et os pariétaux divers. Au cœur de la bataille, les Tourangeaux, sentant doucement le roussi justement, exhibent, non pas les rondeurs de leurs jouvencelles, mais leurs vieux bouts d’os. Ceux de Saint Martin. Ils baladent le reliquaire quoi !

Sur ce, les Vikings font à leur Tours dans leurs braies estampillées Saint-Michel, qui ne faisait pas que des biscuits à l’époque mais aussi des frocs pour les moines et des pantalons, les célèbres braies de Saint Michel ! Les Normands donc, font popo futal et prennent les jambes qu’ils ont encore au cou de ceux chez lesquels la tête tient encore, et déguerpissent, pour ceux qui ont encore une… Soit.

Les Tourangeaux qui ne sont pas des ingrats élèvent alors une chapelle à Saint Martin, un jour d’été indien, qui, quand il vient cithare s’appelle justement été de la Saint-Martin, là-haut sur la colline en mangeant des petits pains au chocolat.

Comme en ce temps là, ça latinise encore grave, pire qu’un flamingant intransigeant (Allez Jacter à l’Est, aurait dit Bartus De Weverusse), ils te baptisent ça Sanctus Martinus de Bellum. Saint Martin de la guerre. On peut regretter que le temps passant, la crétinerie ambiante qui ne fait que croître quand la civilisation recule ait transformé ça en Saint Martin le Beau. Non pas parce ce qu’il nous faudrait, c’est une bonne et belle guerre, ni parce que un Martinus, des Martini et que Monsieur Evin serait fâché, mais simplement parce que pour les Tourangeaux, bellum c’est plus beau que guère épais !

A votre santé !

 

Et sinon, comment vous décrire la pensée dubitative qui m’habite brièvement quand je lis que des recherches climatologiques de l’INRA sur plus de cent ans indiquent que février serait le mois le plus court de l’année ?

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10 novembre 2010 3 10 /11 /novembre /2010 07:06

L’essaim des Saints

Saint Léon, c’est bien bon, mais c’est meilleur à la maison !

Et puis que dire, que faire ? Entre Saint Luseur, un usurier perdant à la Johnny qui finira bien par t’avoir (bon ok, c’est nul. Le second degré, ça va, mais le dixième, c’est trop bas), Saint Moniteur, qui mérite d’être sanctifié quand il donne des cours de conduites à certains, Saint Space qui est un peu spécial, un peu aérien, un peu dans le cake, et Saint Tryphon qui nettoie en tournant sur le sol (ouh là !), dans quel état j’erre ? 

Ca m'outre comme dirait Jean-Michel... Jarre !

 

L’aigreur du jour : la campagne de pub pour VOO : Vive les valeurs familiales modernes !

Pub télé. Repas familial, un ado met le souk, se fait enguirlander par son père qui l’envoie dans sa chambre. Chouette. Tralala lala lalère. Il l’avait fait exprès, le salopiot : comme ça, il peut regarder n’importe quoi sur la télé sur tout plein de chaînes dégoulinant de l'écran comme les étrons du derrière d'un contaminé à la salmonelle, parce qu’il a la chance, ce petit merdeux, d’avoir le VOO corder, décodeur permettant de recevoir la télédistribution via l’opérateur VOO.

Autre spot. Une fille regarde la télé, son père, à côté, chante, fait du bruit, la distrait. La gamine s’en va, excédée. Avec un père aussi con, je comprends le parricide. Chouette, papa s’est débarrassé de sa sale gamine, il va pouvoir regarder le journal pour voir Gros Bart et Mon Saigneur Léopard raconter des foutaises.

Spot radio de Voo : Ouais chouette alors, il y a des remises exceptionnelles ou je ne sais encore quel avantage sur le VOO corder si tu as tout plein de télés chez toi, si possible une dans chaque pièce tiens, y compris les chiottes et la cave.

Et bien je vais vous le dire, les gens de chez VOO, je leur vomis mon mépris fumant à la bouille.

Ces bêtes marchands de soupe appartiennent à une race à peine différente de ces emmerdeurs qui téléphonent en soirée quand les enfants sont dans le bain ou le dimanche quand on a enfin 10 minutes pour une sieste méritée, pour vous annoncer joyeusement que vous avez été choisi parmi un million d’autres blaireaux pour venir tester le dernier coupeur de burnes en six de chez Boulimex.

Ces pauvres téléphonistes à débit de parole différencié qui ont en général un accent à couper au couteau qui indique une origine géographique complètement à l’opposé… de la Norvège par exemple.

Ce qui n’est pas un problème en soi d'ailleurs, mais pourquoi prétendre mordicus s’appeler Jean-François ou Solange, quand ce n’est pas Marie-Chantal alors ? Me prendraient-ils pour un raciste en plus de me prendre pour un con ? Il ne manquerait plus que le brave préposé me rassure sur ses orientations sexuelles et religieuses. Vous imaginez ?

"Bîjour, je m’appelle Jean-François, je suis hétérosexuel et j’ai une photo de Monseigneur Léonard comme fond d’écran. Vous connaissez les sucrettes sans sucre à l’anis sans Annette gloubidégueux  ?"

Et bien les faiseurs de réclame de chez VOO, sont pires que ça. Ah oui, j’oubliais, on appelle ça des créatifs. Ca ne me gène pas outre mesure vu que créer recouvre une gamme assez large de productions humaines : aussi bien le "Déjeuner sur l’herbe" de Manet ou le "J’accuse" de Zola que les faux cacas de chiens qui font rire ou les chambres à gaz. Alors, oui ça se veut rigolo et j’aime les pubs rigolotes. A la télé, c’est pas plus con et plutôt moins, que les émissions qu’ils passent entre les pubs.

Mais là, la campagne de VOO, c’est tout à fait l’opposé de toutes mes valeurs. En gros ça dit : Allez ! Envoyez chier toute la famille avec leurs goûts pourris. Enfermez-vous chacun dans une pièce, le chauffage à fond, si possible avec un bon petit plat tout fait à décongeler et merde pour la convivialité, tant que tu rates pas Koh-Lanta, le reste prrrrtttt !

Et pendant ce temps là, t’as des militants écolos qui s’enchainent au rail pour empêcher un convoi de déchets nucléaires de passer. Hé, les gars, vous en auriez fait une tête si les convoyeurs avaient stoppé le train, s’étaient barrés en disant, tiens c’est à vous maintenant, vous en faites ce que vous voulez ! Levez-vous, merde et aller péter des télés chez les abonnés de VOO qui consomment de l’atome pour regarder les experts !

Et encore pendant ce temps là, tu as Monseigneur Léo qui te vilipende les zomos et qui te claironne bien haut le modèle familial idéal. Je préfère une famille d'homos unis dans un divan qu'une famille d'hétéros solitaires dans leur lit.

 

Et toujours pendant ce temps-là, croyez vous que mars aurait le bon goût de venir avant décembre ? Ben non, même pas !

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9 novembre 2010 2 09 /11 /novembre /2010 07:33

   Massettes (mare en haricot)

Episode 1

 

La Chapelle : Episode 2

 

La rivière à moitié gelée accompagnait maintenant leur progression de son gargouillis joyeux. Le vent, étrangement, s’était calmé, laissant l’air parfaitement immobile et les filles solitaires au milieu d’un paysage d’une blancheur mate et triste.

Les flocons, épais et humides, tombaient droits comme des fils à plomb, bientôt tellement drus que leur foule formait une masse grisâtre informe à cinq mètres alentours, isolant les filles du reste du monde et de tout point de repère. Elles s’aperçurent à peine qu’elles dépassaient la silhouette ténébreuse de Reinhardtstein pour s’enfoncer résolument sous les frondaisons par un étroit chemin en surplomb, mince corniche étranglée entre le torrent et les pentes abruptes chargées de hauts conifères hostiles.

A ce point, le vent reprit de plus belle et l’étrange accalmie cessa brusquement. Les flocons se firent plus petits, plus durs et se mirent à gicler violemment au visage des filles qui durent bientôt se courber pour avancer.

Plus aucun humain à l’horizon bien court, un chemin qui se faisait sentier et se faufilait maintenant, trace subtile, entre les troncs, une visibilité quasi nulle, la neige qui s’accumulait, fondant tout dans le même moule informe et des facultés d’observations complètement anesthésiées… Elles quittèrent sans s’en apercevoir le sentier balisé, et bientôt, toute sente humaine. Elles se retrouvèrent au milieu des bois. Au milieu de rien.

Après quinze minutes de quasi reptation dans un paysage devenu infernal, les filles durent se résoudre à l’arrêt, le visage tuméfié et les yeux en larmes tant la bise leur tailladait les chairs. La neige continuait de s’accumuler avec fureur, comblant les moindres accidents du terrain et rendant le paysage amnésique. Les bourrasques mugissaient si fort que même en criant, les deux filles avaient du mal à se comprendre.

Mais il n’y avait pas grand-chose à comprendre en fait. Avancer devenait impossible, reculer aussi. Pas un instant, elles ne pensèrent à rebrousser chemin de deux ou trois kilomètres à peine pour rejoindre le château de Reinhardtstein qui peut-être était occupé... ou pas. Le froid, la fatigue et la panique grandissante annihilaient leurs facultés. Elle voyaient deux possibilités : attendre que la tempête se calme ou prendre carte et boussole pour rejoindre la route la plus proche et se débrouiller : stop ou transports en commun.

Mais le temps était si déchainé que même ouvrir le topo-guide devenait un défi. Le tenir ouvert, un fantasme. Et puis très vite, Cécile, qui était peut-être moins mystique que Sandrine mais savait lire une carte, se rendit compte qu’elles avaient quitté le GR et se retrouvaient au milieu de milliers de troncs d’arbres identiques, avec une visibilité de quelques mètres.

La petite catin nommée panique se montrait de plus en plus séduisante à suivre. Elles firent des allers-retours, martelèrent des troncs, eurent des mots de rage, furent tentées de s’affaler pour pleurer un bon coup et y cédèrent même un peu, le temps, déjà, d’une prière.

Et pendant ce temps, l’après-midi vieillissait vite. La neige tombait. Le froid se durcissait.

Mais les deux jeunes guides, en cela elles n’avaient pas été présomptueuses, avaient une solide expérience de la randonnée et surtout les ressources de deux filles sportives de 20 ans à lancer dans la bagarre. Cécile entraîna son amie dans la seule chose censée à faire : descendre la pente, trouver le ruisseau ou la rivière qui coulait en bas et au fil de l’eau, rejoindre une route, n’importe laquelle.

Elles se dépêtrèrent, plus d’une heure durant, avec les congères épaisses qui masquaient rochers glissants, racines tortueuses, tas de branches pointues et coupantes. Miracle ou chance, elles manquèrent de peu, plusieurs fois, de se rompre un os ou de s’ouvrir une plaie mal placée. Un peu d’aide du ciel aurait été la bienvenue pour deux catholiques ferventes de 20 ans. Déjà qu’il n’y en avait plus tellement… des catholiques fervents. Mais apparemment ni ces pensées impies de Cécile ni les prières de Sandrine n’émurent quiconque et la tempête de neige continua, furibonde.

Et déjà, la lumière déclinante annonçait le crépuscule et les températures faisaient écho, rejoignant les dix degrés sous zéro.

Enfin, après une nouvelle demi-heure à tâtonner dans le blizzard, elles atteignirent enfin un replat qui semblait être un chemin forestier. Il leur semblait aussi que le vent se calmait. La neige elle, tombait plus serrée que jamais.

Dans la lumière chiche et grise que le jour à sa fin daignait encore laisser filtrer, Sandrine et Cécile eurent enfin le loisir de relever la tête et d’observer où elles étaient. Et ce qu’elles voyaient ne relevait pas de ce qu’on pouvait appelé des bonnes nouvelles. Elles se tenaient sur un chemin, soit, mais un chemin qui filait sur un plateau, pas au long d’un ruisseau. Rien, aucun souvenir, aucun cheminement logique ne leur permettait de comprendre comment, en suivant une pente vers le bas, elles avaient pu se retrouver au sommet d’un plateau.

Et ça filait sans fin avec dans toutes les directions des arbres et des arbres, et rien d’autre : ni lumières, ni sons, ni humains, rien. La couche de neige, pure et intacte aussi loin qu’elles pouvaient encore voir, laissant à peine deviner les plus grosses aspérités du terrain, leur arrivait quasiment aux genoux.

Panique la catin laissait doucement place à angoisse, la grosse pute salace. Sûre que désespoir, la Sainte protectrice des âmes endolories allait bientôt poindre son sale nez, Cécile se concentra sur elle-même, sur ses espérances les plus secrètes pour tenter de reprendre pied. Elle entendait Sandrine sangloter et marmonner des "c’est ma faute, si je n’avais pas été aussi tête de mule".

La voir pleurer acheva Cécile. Sa tête tournait, chaque muscle de son corps hurlait l’abandon de la partie. La sensation de ses pieds était de plus en plus floutée. Quant à ses mains, malgré les gants, elles devenaient de plus en plus bleues, douloureuses et raides. Pire que tout le reste, une voix de plus en plus autoritaire psalmodiait "assieds-toi, prends juste un peu de repos. Arrêtes de gesticuler. Ce serait si bon de poser ses fesses et attendre." Elle se retourna et vit que la même voix agissait en Sandrine, affalée contre un tronc, la tête entre les genoux, silencieuse maintenant. Peut-être priant encore. Cécile, elle, avait arrêté depuis un moment.

Un court instant, elle se vit en train de lui filer de grands coups de pieds et de l’insulter, cette espèce de dinde si forte et si maligne, quand tout allait bien du moins. Au lieu de ça, elle souleva son amie, la prit dans ses bras et tenta de lui remettre les idées en place.

-Allez Sandrine, la tempête se calme et on a retrouvé un chemin. On va le suivre. On va trouver un bled. On va s’en sortir. On est au 21 siècle, en Belgique, dans un pays surpeuplé et le jour de la Saint-Valentin en plus. Toutes les gargotes de tous les bleds du coin doivent être ouvertes et remplies d’idiots d’amoureux. Courage !

-J’en peux plus. Je ne comprends plus rien… on ne devrait pas se trouver en haut mais en bas, sur une route et je…

-Tais-toi ! pense à nos parents, aux filles qui vont bientôt arriver à Bévercé… enfin je sais pas moi. On va pas attendre ici d’être sous un igloo non ? On n’a pas le choix.

Elle traina Sandrine sur une dizaine de mètres, puis celle-ci se mit à marcher seule.  Lentement. La neige fraiche ne soutenait absolument pas leur poids. Il fallait soulever les genoux jusqu’à hauteur de taille, les laisser s’enfoncer dans la neige qui s’insinuait alors sous le pantalon gelé, dans les chaussettes, se dépatouiller à nouveau, la tête basse , les membres ankylosés, garder son équilibre ou tomber dans la neige. La chute éperdue des flocons se calmait et semblait même en voie de s’arrêter mais il faisait maintenant nuit noire. La température dégringolait, gelant l’intérieur de leurs narines. Le vent, glacé, vicieux, coupant, leur cinglait le visage , emportant à chaque seconde un peu plus de détermination.

Elles allaient bientôt s’écrouler. Le temps défilait, au contraire du chemin, tant leurs gesticulations inutiles dans la grande saloperie du manteau blanc de l’hiver s’apparentait à une reptation d’escargot.

Cécile entendit un grand bruit mou derrière elle. Sandrine venait de s’écrouler, tête la première dans la neige. Cécile releva la sienne, remarquant puis oubliant un détail étrange, pour se retourner et secourir son amie. Elle la prit par les bras, époussetant comme elle le pouvait la poudre blanche qui faisait comme un masque de beauté

(un masque mortuaire)

à Sandrine. Se soutenant mutuellement, elle s’écroulèrent en geignant contre un tronc, épuisées, muettes, inertes.

Plus désespérées qu'un cul-de-jatte dans un concours de pieds au cul.

Appelez ça l’instinct de survie, le hasard où la main de Dieu. Au bout d’un moment, Cécile eut une drôle de sensation, comme si son propre esprit, quelque part du fond de sa fatigue, essayait de lui foutre des pieds au derrière pour qu’elle réagisse. Cette chose qu’elle avait entre aperçue quand Sandrine s’était affalée…

Cécile se leva avec peine, remarquant seulement qu’il ne neigeait plus. En levant les yeux, on apercevait même quelques étoiles impassibles entre les hautes silhouettes des épicéas, et de gros nuages de traine qui masquaient par intermittence une demi-lune roussâtre. Elle avança un peu sur le chemin. Avec la lune et la clarté de la neige, on voyait bien les troncs de sapins qui se serraient encore sur quelques centaines de mètres puis s’espaçaient pour donner dans une clairière, située peut-être à un km de là, en contrebas de la crête. Et dans la clairière, Cécile apercevait des lumières : celles d’une ferme ou d’une bâtisse isolée, mais des lumières. Du secours.

Les larmes montèrent comme son souffle s’accélérait. Elle faillit se mettre à courir vers les lumières. Juste à temps pour ne pas avoir trop honte, elle se rappela Sandrine et retourna la chercher.

Il lui fallu se battre sur un kilomètre et demi, dans la neige haute, les branches arrachées et le froid polaire qui s’installait (on allait relever cette nuit là des températures de 18 degrés sous zéro et sous abri) pour arriver jusqu’à la source des lumières.

Déjà après quelques mètres, Cécile dut se retenir de ne pas hurler à l’aide. Mais Cécile était fière, peut-être plus que Sandrine. Et elle avait une conscience aigue du ridicule de leur situation et de l’orgueil qui avait habité deux gamines de 20 ans un jour de blizzard.

Mais bien plus, depuis qu’elle avait repris espoir, Cécile vivait chaque seconde avec une euphorie presqu’obscène. Chaque détail la percutait douloureusement. Elle se retrouvait à nouveau étouffée par la beauté inhumaine du paysage nocturne.

Les nuages moutonneux qui défilaient à vive allure devant la lune iridescente passaient d’un noir ourlé de lumière vive à un blanc d’argent fantomatique. Le paysage se teintait de surnaturel. La haute foule de sapins emmitouflés, solennelle et figée, le manteau onctueux qui étincelait au clair de lune, les ombres qui rampaient dessous cette assemblée végétale et l’air glacé qui prenait une consistance cristalline et cassante marquaient ses souvenirs comme du papier argentique. Et à l’arrière plan de ce paysage digne d’un Tim Burton, les bâtiments dans la clairière se rapprochaient.

On les distinguait nettement à présent : une petite chapelle carrée au toit de schiste et au clocher octogonal, flanquant une longue bâtisse qui devait être une ferme, avec ce qui semblait être des étables ou des écuries. De deux cheminées trapues, la bonne fumée d’un âtre (on sentait l'odeur du bois brûlé jusqu'ici) montait vers les étoiles. Cécile en avait déjà les orteils qui picotaient d’aise. Encourageant et soutenant Sandrine, silencieuse, amorphe, Cécile s'emplissait d'une fureur sauvage au fur et à mesure que les bâtiments approchaient sans s’évanouir : ni rêve ni mirage, ils étaient bel et bien là.

Bientôt des sons commencèrent à lui parvenir : des bribes de chants, des voix haut-perchées et un peu éraillées, mais apparemment des chants religieux. Cent-cinquante mètres les séparaient encore de ce que Cécile en était venue à appeler le salut.

La porte de la chapelle s’ouvrit et une vingtaine de silhouettes emmitouflées dans des capes et des gabardines se pressèrent vers la ferme. Un prêtre, vêtu à l’ancienne mode, soutane noire et col blanc, fermait la marche. Cette vision furtive d’êtres humains dans la nuit glacée tira un sanglot sonore à Cécile mais aussi une brève sensation dérangeante. Les silhouettes semblaient étrangement vêtues. Certaines, notamment, portaient des couvre-chefs à la mode du siècle dit des lumières ou même peut-être d’avant, de ces grands chapeaux noirs avec des plumes ou des boucles dorées. De plus, probablement à cause de l’éclat féérique de la lune ou de l’effet du froid sur ses yeux, il sembla à Cécile pendant quelque angoissantes secondes que les silhouettes ne marchaient pas mais flottaient sur la neige et qu’en lieu et place de jambes, il n’y avait à leur base qu’un vague amas de fumeroles.

Cécile, estomaquée, serra fort les paupières sur ses yeux embués. Décidant que son esprit lui jouait un tour et qu’elle crevait de froid, elle héla enfin le groupe d’êtres humains ou de spectres.

De toute façon, avec le froid, d’ici une heure tout au plus, ça n’aurait plus eu aucune importance.

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9 novembre 2010 2 09 /11 /novembre /2010 05:55

L’essaim des Saints

Pas de répit pour Saint Théodore, puis Théo file.

Saint Nectaire : Avec un nom pareil on ne doit pas être en odeur de sainteté pourtant.

Saint Ursin, invoque le donc pour qu’on ne mange pas tes gonades.

Saint Pabon : Que veux-tu que Bonifasse si on te dit que c’est pas bon !

Et puis un florilège. Pendant que Saint Vanne se lâche, que Sainte matrone te met sur la tronche de son rouleau à pâtisserie, Saint Montan lui, descend de la montagne à bicyclette avec Paulette.

 

Vous ne le répéterez à personne, mais j’ai l’impression que Noel tombera avant la Saint Sylvestre cette année.

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8 novembre 2010 1 08 /11 /novembre /2010 07:14

 

L'essaim des Saints.

Le gros niqueur au quotidien, obligé par son almanach journalier, se retrouve parfois dans l’expectative. Oui, ma vie est une dure lutte et le doute m’habite. Chaque matin, en parcourant frénétiquement le net, sites de noms, sites hagiographiques, dans l’espoir de trouver et reluquer de jolis saints, je me retrouve devant le même dilemme : dois-je faire la paire belle à des gros saints très connus ou bien pointer des petits saints fiers, altiers, mais disparus depuis longtemps des calendriers ? N’écoutant que mon bon cœur, je préfère souvent les petits.

Et donc, aujourd’hui nous passerons sous silence la Saint Geoffroy pour parler de Saint Clair et de Saint Austremoine ou encore de Sainte Euphrosyne et de Saint Deusdedit.

Bon… finalement je comprends qu’on ne les fête plus ceux-là. Quel outrage aux bonnes mœurs que des patronymes pareils, Dieu me crépite !

 

L’aigreur du jour.

La semaine passée, en France, anosmie fulgurante du gouvernement. L’argent n’avait plus d’odeur. Certes, mais on ne fait pas d’omelettes sans casser d’œufs et quand vous mélangez le blanc et le jaune, c’est bien connu, reste le jaune. Moralité : "Qui frotte trop de manches se réveille avec la langue chargée."

 

Et pour le coup, je vous le dis comme je le pense, mais ça m’étonnerait quand même que l’automne dure plus de trois mois.

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